Les géants du tabac demandent un 9e sursis pour terminer leur restructuration financière

Après leur défaite au Québec, un juge ontarien avait accordé aux trois fabricants la protection des tribunaux.

Les géants du tabac demandent un 9e sursis pour terminer leur restructuration financière
Les trois compagnies canadiennes ont obtenu la protection des tribunaux
contre leurs créanciers en mars 2019.

Une cigarette entre des doigts.
Le litige entourant la faillite des compagnies de tabac du Canada dure
maintenant depuis trois ans et demi devant la Cour supérieure de l'Ontario.
PHOTO : LA PRESSE CANADIENNE / PAWEL DWULIT

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Jean-Philippe Nadeau (accéder à la page de l'auteur)

Jean-Philippe Nadeau
11 h 06 | Mis à jour à 15 h 31

Les trois géants canadiens du tabac demandent à nouveau à un juge ontarien
de prolonger la protection qu'ils ont obtenue des tribunaux en 2019 pendant
qu'ils continuent de négocier un règlement avec leurs créanciers après trois
ans et demi de pourparlers.

Les trois entreprises sont en difficultés financières depuis que la Cour
d'appel du Québec les a forcées en 2019 à indemniser à hauteur de quelque 14
milliards de dollars 100 000 victimes du tabagisme dans cette province.

Il s'agit de leur neuvième demande de sursis concernant l'ordonnance qui a
permis de suspendre en 2019 les procédures judiciaires entamées contre
JTI-Macdonald Corp, Rothmans, Benson & Hedges et Imperial Tobacco Canada
Ltd.

Des paquets de cigarettes.
JTI-Macdonald Corp, Rothmans, Benson & Hedges et Imperial Tobacco Canada Ltd
se sont placées sous la protection de la loi fédérale sur les arrangements
avec les créanciers après leur défaite devant la Cour d'appel du Québec.
PHOTO : RADIO-CANADA

Le juge Thomas McEwen de la Cour supérieure de l'Ontario avait accepté en
mars de prolonger la protection jusqu'au 30 septembre. Lors d'une audience
en ligne, il entend mercredi les arguments des compagnies de tabac qui
tentent d'obtenir une prolongation supplémentaire de six mois, soit jusqu'au
31 mars 2023.

De nombreux sursis ont été accordés aux trois compagnies depuis le jugement
historique de la Cour d'appel du Québec du 1er mars 2019.

L'avocat des victimes québécoises du tabagisme, Bruce Johnson, s'oppose à la
requête des trois entreprises et plaide plutôt en faveur d'un délai de trois
mois seulement.

Le juge McEwen rendra sa décision jeudi après avoir entendu les parties
mercredi matin à Toronto.

À lire aussi :
Des géants du tabac tentent de se faire rassurants auprès des victimes
québécoises d'un recours collectif
Le revers des victimes du tabagisme permet de sauvegarder le statu quo,
selon le juge

Une entente historique
Les trois entreprises s'étaient placées sous la protection de la Loi
fédérale sur les arrangements avec les créanciers des compagnies après avoir
perdu un appel d'un recours collectif de 100 000 Québécois atteints de
dépendance à la nicotine ou d'une maladie liée au tabac.

La Cour d'appel du Québec avait confirmé le jugement d'un tribunal inférieur
qui avait ordonné aux compagnies de débourser près de 15 milliards de
dollars en dommages-intérêts aux fumeurs de cette province.

Elle avait conclu que les fabricants de cigarettes avaient agi de concert et
qu'ils avaient manqué à leur devoir d'informer leurs clients des dangers du
tabac.

Des mégots de cigarette.
Les compagnies de tabac continuent toujours à vendre leurs produits depuis
qu'elles tentent d'éviter la faillite.
PHOTO : RADIO-CANADA / CBC / ROBERT SHORT

Après leur défaite au Québec, un juge ontarien avait accordé aux trois
fabricants la protection des tribunaux.

En agissant de la sorte, le juge Glenn Hainey, de la Cour supérieure de
l'Ontario, avait suspendu le jugement de la Cour d'appel du Québec et, dans
le même temps, toutes les poursuites judiciaires entamées contre les
entreprises de tabac au Canada.

Les 10 provinces tentent de récupérer les sommes d'argent qu'elles ont
dépensées durant des décennies dans les soins aux malades du tabagisme. La
Société canadienne du cancer chiffre ce montant à plus de 500 milliards de
dollars.

Toutes les provinces se sont regroupées dans un consortium privé, à
l'exception du Québec et de l'Ontario. Les négociations sur la
restructuration des trois compagnies demeurent confidentielles.

Déception et résignation
La Coalition québécoise pour le contrôle du tabac surveille ce processus
d'un œil très attentif. Sa porte-parole, Flory Doucas, affirme que ces
demandes de sursis ne sont pas surprenantes.

Ce n’est pas pour rien que les compagnies de tabac se sont tournées vers des
procédures juridiques opaques qui ne tiennent pas compte de l’impact réel du
comportement de l’industrie du tabac sur la santé et nos finances publiques,
dit-elle.

« Toute cette démarche sous le couvert de la loi est une stratégie de
l'industrie qui veut éviter d'autres procès et qui essaie de forcer la
négociation en nivelant vers le bas et en donnant à certains joueurs la
perception qu'ils peuvent chercher un gain à court terme avec des sommes
d'argent importantes. »

— Une citation de Flory Doucas, Coalition québécoise pour le contrôle du
tabac
Or, une véritable restructuration devrait, selon elle, forcer l'industrie à
changer ses pratiques dans le but de réduire le nombre de fumeurs.

Il est malheureux d'acquiescer à une telle stratégie qui va permettre à
l'industrie de sortir gagnante, dit-elle.

Un homme allume une cigarette.
La Coalition québécoise pour le contrôle du tabac espère que les
négociations aboutiront à des politiques publiques très strictes contre
l'usage du tabac au pays.
PHOTO : RADIO-CANADA / BENOIT JOBIN

Mme Doucas se dit en outre déçue du silence du Québec dans ce dossier,
puisqu'il a toujours maintenu une position de neutralité, même s'il tente,
lui aussi, de récupérer l'argent qu'il a investi dans les soins de santé aux
fumeurs.

« On comprend mal l'approche du Québec qui est dans une position difficile,
parce que d'une part, il y a un jugement de la Cour d'appel du Québec qui
condamne les cigarettiers […] et d'autre part, cette restructuration doit
permettre la poursuite de leur commerce. »

— Une citation de Flory Doucas, Coalition québécoise pour le contrôle du
tabac
Mme Doucas ajoute qu'elle se serait attendue à une plus grande solidarité
vocale de la part du Québec avec les victimes québécoises qui ont gagné leur
recours collectif contre les géants du tabac devant les tribunaux.

Elle pense que le Québec, en tentant de récupérer sa part du gâteau, agit au
détriment des victimes qui attendent toujours d'être indemnisées.

Un homme qui fume une cigarette.
La cigarette est la principale cause du cancer du poumon, selon la Société
canadienne du cancer.
PHOTO : GETTY IMAGES / YASSER AL-ZAYYAT

Elle précise que les provinces n'ont pas fait preuve de transparence, parce
qu'elles ne font que penser à l'aspect financier du problème plutôt que
d'envisager la question dans une perspective plus globale de santé publique.

L'industrie a été autorisée à continuer à vendre ses produits et à recruter
des gens qui vont tomber dans la dépendance et c'est comme cela que les
provinces espèrent aller récupérer encore plus d'argent, poursuit-elle.

Les sursis ne permettent, selon Mme Doucas, que de faire grossir la
cagnotte, parce que les trois fabricants continuent toujours à vendre leurs
produits depuis mars 2019.

Arrivée d'un nouvel intervenant
Aucun nouveau développement n'est donc véritablement attendu dans cette saga
judiciaire, si ce n'est qu'une requête de la Fondation canadienne des
maladies du cœur et de l'AVC a été déposée mercredi devant le juge McEwen.

La Fondation demande le statut d'intervenant pour qu'elle puisse entrer à
son tour dans les négociations sur la restructuration des trois entreprises
à titre de futures victimes du tabagisme.

« La nomination d'un avocat représentant les futures victimes du tabagisme
est à ce moment-ci nécessaire pour s'assurer que leurs intérêts sont traités
de façon appropriée et équilibrée dans toute proposition de plan
d'arrangement avec les créanciers qui sera soumise à l'approbation de ce
tribunal. »

— Une citation de Mémoire de la Fondation dont Radio-Canada a obtenu une
copie
La demande de la Fondation sera débattue à une date indéterminée devant le
juge McEwen.

Plant de tabac dans un champ près de Tillsonburg.
La culture du tabac est toujours bien présente dans le comté de Norfolk dans
le Sud-Ouest de l'Ontario.
PHOTO : RADIO-CANADA / COLIN CÔTÉ-PAULETTE

Mme Doucas pense que l'intervention de la Fondation est néanmoins la
bienvenue, mais que sa demande aura l'effet d'une arme à double tranchant si
les géants du tabac acceptent sa présence à la table de négociations.

Elle explique que la participation de la Fondation pourrait protéger les
intérêts des générations futures contre ceux de l'industrie du tabac, mais
elle voit d'un œil critique la requête de cette dernière de créer un fonds
destiné à la prévention du tabagisme et dont l'argent proviendrait de la
répartition des sommes entre débiteurs et créditeurs.

L'important, selon elle, est de prévenir le tabagisme à long terme, parce
que les provinces se sont désengagées de l'enjeu de santé publique dans ce
litige.

La démarche de la Fondation paraît louable, mais on a besoin de volonté
politique plus que d'argent, dit-elle.

Un homme brise une cigarette en deux
La Fondation canadienne des maladies du cœur et de l'AVC veut se joindre aux
négociations entre les débiteurs et les créditeurs.
PHOTO : ISTOCK

Mme Doucas croit que les négociateurs dans ce litige devraient forcer les
fabricants à participer eux-mêmes à la lutte contre le tabagisme en les
obligeant à atteindre des cibles de réduction de leurs ventes de tabac.

Elle prévoit qu'il n'est pas exclu que la Fondation canadienne des maladies
du cœur et de l'AVC soit, cyniquement, acceptée à la table des pourparlers.

Quand on veut vendre une entente poche à la population, il faut toujours
jeter quelques bonbons; la création d'un fonds viendrait habiliter les
gouvernements à justement convaincre le public qu'ils ont fait la bonne
chose en acceptant ultimement une entente qui ne soit pas nécessairement
bonne pour la santé publique. C'est décevant, conclut-elle.

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