"Le Cannabis Ne Convient Pas à Tout le Monde" Rencontre avec Michka Pionière Du Chanvre En France

S’il faut le légaliser, ce n’est pas en vertu d’éventuels bienfaits, mais parce que la prohibition elle-même entraîne des effets pervers.

Cannabis
"LE CANNABIS NE CONVIENT PAS À TOUT LE MONDE" RENCONTRE AVEC MICHKA, PIONNIÈRE DU CHANVRE EN FRANCE
Publié le 1 juillet 2020

En France, les aprioris autour de la consommation du cannabis sont toujours très présents. La loi prévoyant une peine de prison ferme pour les fumeurs de joints est par exemple toujours en vigueur. Pour tenter de lever les tabous, Michka, consommatrice et spécialiste de cette plante, nous raconte son quotidien de femme peu ordinaire et nous livre les secrets de son mode de vie inspirant.

Michka a été une pionnière du bio, de la spiruline, du chanvre. Ses positions sur le cannabis sont en phase avec les États américains qui ont légalisé la marijuana, et particulièrement avec la Californie, où le cannabis médical est légal depuis vingt-cinq ans. Ses écrits lui ont valu de comparaître devant un tribunal dans les années 1990, lors d’un procès parisien qui a trouvé écho dans divers pays, et qui l’a transformée en guerrière pacifique. Ainsi est-elle devenue une égérie du cannabis, au point qu’une variété officielle porte aujourd’hui son nom : la «Michka ».

FemininBio : Vous êtes une pionnière du chanvre, une "grande dame" comme nous pouvons le lire sur la couverture de votre prochain livre, comment s'est éveillée cette prise de conscience pour le cannabis et quelles ont été vos principales actions ?

Michka : En 1970, après un an de croisière sur un vieux voilier, j’ai quitté l’Europe pour le Canada. Je suis arrivée en Colombie-Britannique, non loin de Vancouver, et j’ai trouvé un poste de prof de français dans un lycée au nord de la province. Et un soir, lors d’une réunion avec d’autres profs, on m’a passé un joint… ou plutôt un stick, comme cela se pratiquait là-bas, c’est-à-dire une mince cigarette ne contenant que du cannabis, sans tabac. Je n’avais jamais été confrontée à cette plante et j’ai été très décontenancée. J’ai fait semblant de tirer une bouffée et, bien sûr, je n’ai rien senti. C’est seulement à la troisième occasion que je me suis laissé aller suffisamment pour sentir quelque chose. Là, j’ai su très vite qu’avec l’Herbe, comme j’aime l’appeler, j’avais trouvé une amie. Soudain, je découvrais un nouveau continent. Aux antipodes de l’image que ma culture en donnait. Non sans une certaine naïveté, j’ai voulu faire savoir au monde que nous avions des idées fausses sur la question. Cela a pris la forme d'un livre, co-écrit avec Hugo Verlomme, Le Dossier vert d’une drogue douce, paru chez Robert Laffont en 1978. Mais c’est seulement quinze ans plus tard que mon rôle d’écrivain allait me précipiter dans l’arène…

Un jour de 1994, je crois, la moutarde nous est montée au nez, au docteur Bertrand Lebeau et moi-même, en découvrant qu’un professeur de médecine, conseiller de l’OMS et de différents chefs d'État, mettait en avant des « études scientifiques » menées en dépit du bon sens, dans le but d’alimenter sa croisade anti cannabis. Nous avons écrit deux articles incisifs… et le croisé en question nous a poursuivis en justice. Il en est résulté un procès qui fit un certain bruit. Il faut rappeler qu’en France, la loi votée en 1970, toujours en vigueur, prévoit une peine de prison pour les fumeurs de cannabis. Dans les années 1990, les forces de police réprimaient jusqu’à la représentation de sa feuille, allant jusqu’à faire pression sur les libraires pour qu’ils cachent les livres non conformes. Au tout début des années 2000, j’ai pris plaisir à braver cet interdit en présentant, au salon de l’Agriculture de Paris, un petit livre intitulé Pourquoi et comment cultiver du chanvre... avec, en couverture, une gracieuse Ève voilant sa nudité derrière une feuille de chanvre. Ce qui me valut d’être embarquée manu militari au quai des Orfèvres pour y être interrogée. Les Verts m’apportèrent leur soutien, le Journal de 20 heures sur Canal+ présenta « le livre que l’on n’a pas le droit de montrer », et il en résulta une certaine commotion. Fondamentalement, je m’exprime par ma plume ; mais j’ai le goût de l’aventure…

On vante de plus en plus les bienfaits du chanvre ou du CBD, mais vous militez depuis des années pour la légalisation du cannabis. Comment expliquer les bienfaits d'une plante qui, avec sa teneur en THC, possède des effets psychotropes parfois risqués (bad trip, etc.) ?

Je vois là deux sujets différents : les éventuels bienfaits du cannabis d’une part et, de l’autre, sa légalisation. S’il faut le légaliser, ce n’est pas en vertu d’éventuels bienfaits, mais parce que la prohibition elle-même entraîne des effets pervers. On l’a vu avec la prohibition de l’alcool aux États-Unis qui, pendant la quinzaine d’années qu’elle a duré, a eu des conséquences dévastatrices sur la santé publique et la société en général. Il faudrait légaliser le cannabis quand bien même il serait dangereux. Car la prohibition crée de nouveaux risques. Un peu comme pour l’avortement, qui était dangereux tant qu’il était clandestin. Personnellement, je suis prête à aller plus loin : l’individu n’est-il pas souverain quant à ce qu’il souhaite introduire dans son propre corps ? Et même : en tant qu’êtres humains, ne recevons-nous pas, à la naissance, le droit d’utiliser à notre guise toutes les plantes qui poussent sur notre belle planète ? Oui, le THC possède des effets psychotropes, c’est ce qui fait sa beauté. À condition de l’honorer et de respecter un code des bons usages qui, justement, n’a pas encore eu la possibilité de voir le jour chez nous du fait de sa prohibition !

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Pour quelle(s) pathologie(s) le cannabis thérapeutique a-t-il fait le plus ses preuves ?
La recherche sur les aspects thérapeutiques du cannabis a longtemps été bannie, car les gouvernements craignaient que des résultats favorables affaiblissent leur position prohibitionniste. C’est donc par la bouche des malades eux-mêmes qu’on a commencé à savoir, dès le début des années 1970, que les troubles de la vision liés au glaucome disparaissent chez ceux qui en fument, ou qu’il supprime les redoutables nausées des chimiothérapies. Les recherches ont enfin repris il y a quelques années et, depuis, c’est une avalanche de nouvelles pistes de guérison. Les chercheurs ont découvert que notre corps produit des « endocannabinoïdes », substances très proches des principes actifs du cannabis, ce qui explique l'incroyable diversité de ses effets thérapeutiques.

Dans votre ouvrage, vous parlez de "dimension sacrée" du cannabis. Quelle est-elle et où est-elle la plus répandue ?

Le cannabis est originaire des contreforts de l’Himalaya. Il demeure sacré en Inde, où il est lié au dieu Shiva et où des ascètes qui ont fait vœu de renoncement, les Sâdhus, le fument rituellement, au moyen de longues pipes non coudées, les shiloms. Par ailleurs, sur le continent indien, la boisson alcoolisée est considérée comme sale, impure. Un membre de la caste sacerdotale des brahmanes qui en a absorbé doit se purifier avant d’entrer dans un temple. On touche là aux racines cachées de la prohibition du cannabis : un clash culturel entre l’Est et l’Ouest. Car, chez nous, c’est le vin qui est sacré. Il est le sang du Christ lorsqu’un fidèle le porte à sa bouche dans le rituel de la Sainte communion. Et il faut une bouteille (au moins !) pour consacrer toute célébration, qu’il s’agisse de l’obtention d’un diplôme, d’un mariage ou du lancement d’un navire. Ce sont les Hippies qui ont fait passer la marijuana, comme on disait alors, du ghetto où elle inspira les premiers joueurs de jazz jusqu'aux familles blanches bourgeoises des États-Unis, puis d'Europe. Pour les flower children des années 1960-70, qui incitaient à « faire l’amour, pas la guerre », le cannabis était le vaisseau qui allait transformer la société. En ouvrant les consciences, il allait permettre que la violence et la compétition soient remplacées par une coopération bienveillante.

Une variété de graines porte votre nom. Comment est-ce arrivé et quelles sont les particularités de la Michka ?

C’est la banque de graines Sensi Seeds qui a créé la Michka. Quand ils m’ont contactée pour me faire savoir qu’ils souhaitaient m’honorer pour ma « contribution exceptionnelle à la connaissance du cannabis » en donnant mon nom à une nouvelle variété, j’ai été très claire : à condition qu’elle me plaise. J’aime les variétés qui stimulent la créativité, qui me mettent en contact avec mon intuition – avec cette partie de nous qui est connectée à plus grand que nous. Donc j’ai demandé que ce soit une sativa, et si possible une Haze. Or les variétés de type sativa sont de plus en plus rares, parce qu’elles mettent plus longtemps à atteindre leur maturité et qu’aujourd’hui tout le monde est pressé. Mais j’ai été exaucée : la Michka est claire et lumineuse. Parfaite pour se livrer à une activité artistique comme l’écriture !

Comment devrait être abordée la question du cannabis en France, de son utilisation et de sa régulation (pour limiter les addictions) ?

Comme chacun sait, prévenir est plus facile que guérir. On aurait pu prévenir en le traitant comme on traite le vin ou le tabac. Au lieu de cela, on l’a prohibé, ce qui l’a fait passer aux mains d’organisations en marge de la loi, et a dressé la jeunesse contre les forces de l’ordre. Les messages de prévention ne peuvent pas être entendus par des jeunes qui savent pertinemment que « l’information » institutionnelle est biaisée. Pour avoir une chance d’être entendu, il faut parler vrai. Le premier message de prévention, à mon sens, porterait sur l’importance de séparer le cannabis et le tabac, comme cela se pratique depuis le début sur le continent américain. En Europe, il est traditionnel de les fumer mélangés. Et cela complique tout, car le tabac est tellement accrochant ! Un manuel du bon usage pourrait suggérer qu’avant d’allumer un joint, on se donne une seconde de réflexion pour s’assurer que c’est une bonne idée, là, maintenant. Et, si la réponse est oui, que l’on prenne une autre seconde pour poser une intention, pour énoncer mentalement ce que l’on souhaite favoriser, par exemple la créativité, la convivialité ou, au contraire, l’intimité, ou encore le sentiment d’union avec la nature… Le cannabis ne convient pas à tout le monde. On en revient à l’éternelle question d’être attentif aux messages de son corps, d’identifier ce qui nous sert et ce qui nous entrave, et d’en tenir compte. D’agir en conscience.

Notre experte
Michka partage actuellement son temps entre Paris et la Colombie Britannique, entre sa maison d’édition et l’écriture de la série autobiographique dont ce livre, La grande dame du cannabis se dévoile aux Editions MAMA, est le nouvel épisode.

Commentaires

Michka a une variété de cannabis nommé en son honneur

https://www.kannabia.com/fr/blog/la-grande-dame-du-cannabis-michka-seeli...

La "grande dame" du cannabis, Michka Seeliger-Chatelain

Auteur

Laura Rueda

À Yes We Skunk, nous aimons savoir un peu plus sur les personnes qui composent la communauté du cannabis. C'est pourquoi nous souhaitons vous présenter Michka Seeliger-Chatelain, plus connue sous le nom de "Grande Dame" du Cannabis. La française est une activiste, une écrivaine et une muse de ce milieu. Même la plus ancienne banque de graines de cannabis au monde, Sensi Seeds, a créée une variété de graines de sativa, la Michka.

Auteur des best-sellers sur cannabis
Il y a quarante ans, en 1978, Michka écrivait son premier livre, Medical Cannabis. Depuis lors, elle n'a cessé de vendre, cette publication devenant un best-seller avec plus de 47.000 exemplaires vendus. Seeliger-Chatelain, de son temps, a travaillé main dans la main avec les meilleurs experts internationaux pour trouver des réponses à une série de questions liées aux cannabinoïdes et leurs propriétés. Le professeur Mechoulam, découvreur du THC en 1964, est l’un des voix que nous pouvons trouver dans ce titre.

Mais il y a aussi Manuel Guzmán, un médecin espagnol qui étudie l'action du cannabis contre les cellules cancéreuses, le botaniste Robert Connell Clarke ou le cultivateur Jorge Cervantes. Il s'agit d’une œuvre de 320 pages au style clair et humoristique, qui, outre 420 illustrations à couleur, comprend des conseils de culture et un résumé du statut juridique actuel de la plante. Chaque année, l’édition s’actualise avec un annuaire, Cannascope, qui est inclus à la fin du livre et qui rassemble les meilleures adresses et sites Web de professionnels de la marijuana en Europe, ainsi que des salons et festivals.

Musa d'une variété de graines de Sensi
Michka Seeliger-Chatelain est connue dans le monde du cannabis pour être une activiste incessante et aussi une muse pour le mouvement. La banque de graines Sensi Seeds a consacré une variété de graines de sativa, honorant le travail de la française en tant qu’écrivaine et activiste du cannabis dans les 40 dernières années. On sait que les Néerlandais dédient généralement des variétés aux personnes qui ont été des pionniers courageux dans ce monde. C’est pourquoi Howard Marks, Jack Herer et Ed Rosenthal ont déjà sa variété. La particularité de La Grande Dame del Cannabis est qu’elle a été la première femme à avoir une variété en son honneur.

Comment est Michka, la variété qui porte le nom de la militante? La française a toujours dit que « elle déteste l'herbe qui trouble l’esprit' ». C'est pour cela que, dans Sensi Seeds, ils ont travaillé sur une variété de sativa avec des arômes d'agrumes et un effet très net et stimulant qui ravive la créativité. La même Michka a déclaré à cette occasion qu’il s’agit « d’une excellente herbe pour les écrivains (je pense que l'ascendance hazeactive l'expression verbale) ». Cette nouveauté a été présentée le 10 novembre 2017 au salon Cannafest, qui se tient chaque année à Prague. En plus de la présentation, une cérémonie commémorative en l'honneur de la Grande Dame du Cannabis a été tenue.

Activiste du cannabis depuis 40 ans
"L'accès gratuit aux plantes est un droit acquis à toutes les créatures vivantes." Voici l'une des grandes phrases de la Grande Dame française du cannabis. Dans cette ligne, quand on lui a demandé par Mama Editions, l’éditorial qui publie tous ses livres, sur la légalisation idéale, elle a répondu : "Il ne devrait pas y avoir de réglementation, de la même manière qu’ils n’existent pas des lois sur l'accès aux tomates. Tout le monde peut les acheter, les manger, les vendre et faire ce qu’ils veulent avec eux ".

Du même auteur et également publiés par Mama Editions, on trouve "Healing with cannabis", une publication avec la participation des experts internationaux du cannabis qui répondent aux questions les plus fréquemment posées sur l’utilisation de cette plante: quelles maladies et symptômes peuvent guérir ou soulager en l’utilisant? Comment l’organisme l’absorbe ? Quelles sont ses vertus? Quelles sont les propriétés médicinales du THC et de la CDB? Quel est l’état actuel de la recherche scientifique? Quels médicaments dérivés du cannabis sont disponibles aujourd'hui? On priorise les produits naturels ou les cannabinoïdes de synthèse? Comment cultiver la marijuana thérapeutique ? Quelles sont les différentes législations au niveau mondial concernant son utilisation médicale?

Mais le meilleur moyen d’apprendre à son sujet est de lire le livre « Michka, de la main gauche », une autobiographie. À travers ses pages, la Grande Dame du Cannabis nous parle, sans tabou, de drogue et sexe. La militante française partage des aventures vécues pendant plus de soixante-dix ans: sa navigation dans des différents océans avec un voilier construit avec ses propres mains, la naissance de leurs enfants dans la forêt sauvage du Canada ou l'aboutissement d'une recherche des sources de guérison. Le résultat est une autobiographie élégante, intemporelle, audacieuse, captivante, féminine et riche en enseignements.

Rencontre potagère. Ma cabane au cannabis

http://www.liberation.fr/portrait/1996/04/08/rencontre-potagere-ma-caban...

Portrait
Rencontre potagère. Ma cabane au cannabis
Par Philippe Lançon — 8 avril 1996 à 04:30
MICHKA, 52 ans, est devenue, sans le vouloir, une égérie du cannabis. Attaquée par un prohibitionniste, elle passe au tribunal correctionnel à Paris.

Dans la petite cabane en bois, impeccable réplique miniature de celle construite au Canada vingt ans plus tôt, une vieille théière est posée sur un poêle en fonte acheté aux puces. Tout est propre, à sa place, comme dans un bateau. Michka, qui n'est pas Line Renaud, recharge du bois en silence. Ça ne chauffe pas. Elle porte un pull violet. On entend les oiseaux. Deux couvertures sont étalées sur la terrasse, face à un camélia en fleur, sous les branches encore nues des arbres du Père-Lachaise. Un havre: le dernier jardin en copropriété au coeur de Paris, arraché de haute lutte, comme dans la chanson de Dutronc, à un promoteur. «Je viens ici pour me détendre, dit-elle, pour oublier, parmi les plantes, la ville et les bruits du procès.»

Pour la première fois de sa vie, presque surprise et un peu inquiète, la paisible mère de famille, journaliste experte en jardinage et auteur de trois livres sur l'herbe et le chanvre, est transformée malgré elle en égérie du cannabis: elle passe devant le tribunal correctionnel de Paris. Un professeur en retraite, Gabriel Nahas, ancien expert en toxicologie de l'OMS et grand brûleur de chanvre, la poursuit en diffamation. Dans Maintenant, une petite revue trimestrielle consacrée en octobre 1993 au cannabis, Michka l'accusait de «manipuler la science» pour des raisons d'ordre moral.

Gabriel Nahas n'est pas tout à fait n'importe qui: sa haine du cannabis n'a d'égale que son goût du procès et sa puissance de feu, relayée par différents journaux et ministères depuis plus de vingt ans. Les témoins de Michka ne sont pas non plus n'importe qui: des spécialistes français et étrangers de la toxicomanie, professeurs et politiques, en général peu enclins à se déplacer devant les juges. Tout cela fait du procès de Michka un moment emblématique: dans l'atmosphère de peur propre aux années en cours, ce ne sont plus des babas cool qui s'écharpent autour d'un joint, mais des toxicologues, des avocats, des neuropsychiatres qui discutent à la barre.

Dans ce gratin, Michka dénote un peu. Assez curieusement, c'est l'inverse d'une militante. Jamais dans un mouvement, jamais dans un courant. Son mari, l'écri- vain Hugo Verlomme, «une barbe et pas de chaussettes», récuse pour deux tout en- gagement: «Militant, c'est limitant. On n'est pas des dealers, ni des babas, et on n'a pas d'intérêt. On écrit nos livres, on vit, et puis c'est tout.» Sur le rôle de joint de sa douce, il a son explication: «Il y a très peu de femmes dans le monde du cannabis. Les hommes fument davantage. D'autre part, elle est bilingue et potasse comme une universitaire. C'est comme ça qu'elle est devenue une spécialiste du chanvre.»

Michka fume peu. Et jamais de tabac. Si ses deux enfants en grillent une un jour, elle sera «plus préoccupée s'ils fument du tabac, ce qui crée presque toujours une dépendance, que si c'est du cannabis.» Si c'est de l'herbe, elle les mettra en garde contre «les choses à ne pas faire»: «par exemple, fumer avant un contrôle de maths ou avant de conduire». Car le cannabis, admet-elle, «n'est pas une substance anodine». A certains moments, tandis que le thé ne chauffe toujours pas, Michka se prend toutefois le chandail dans son panthéisme pour justifier ce qui, après tout, n'est pas autre chose que de l'herbe. «Certaines plantes aident à mettre en phase avec l'unité du monde vivant. Elles ont un potentiel d'enseignement.» Des plantes complètes, en somme, qui nourrissent le karma de la tête aux pieds. Gênée par ses propres mots, elle sourit. «Ça fait très méli-mélo mystique, tout ça, mais j'ai vraiment un sentiment de la nature et ça m'aide à mieux vivre.»

Le cannabis n'était pas prévu dans sa course autour du monde. En 1964, elle a vingt ans, elle est belle, et elle part retaper un voilier de 1896 avec un marin anglais. Elle vit Mai 68 à la BBC. «Ça avait l'air assez effrayant.» Ensuite, ils traversent la Manche, rejoignent Majorque, revendent le voilier, émigrent vers l'ouest du Canada. Là-bas, elle découvre une société «pas confinée comme la nôtre», qu'elle définit d'un mot hérité de Shakespeare qu'elle ne parvient pas à traduire exactement en français: «readyness». Ouverture, disponibilité. Années 70, où nature et culture se mêlent dans une province immense et vierge comme la Lune. «La Colombie-Britannique a fêté ses cent ans quand j'y étais, vous vous rendez compte?»

Elle achète un terrain, «le plus petit possible là-bas, vingt hectares». Plus tard, elle y retourne avec son nouvel homme, Hugo Verlomme. Un homme du grand bleu. Elle-même a écrit un livre très soigné sur ses voyages en mer, à la fois rêveur et pratique, que les bourlingueurs connaissent bien. Lui, l'auteur célébré de Mermère, se souvient: «Je l'ai choisie en partie à cause de l'océan. Mais elle avait fini ce trip-là. Et je me suis retrouvé dans un potager, entouré d'ours, à mille mètres d'altitude.» Leur grande cabane, sans eau ni électricité, ils la construisent eux-mêmes. Ils y passent cinq ans. Elle y écrit un journal de grossesse dans les herbes folles: A mains nues. «Puis nous sommes revenus, dit-elle. Là-bas, nous avions ce qui manque ici: du temps. Mais ce qui se trouve ici a fini par nous manquer là-bas: des rencontres.» Ils ont écrit un premier livre sur le cannabis, «l'un des tout premiers en France». «Quelque chose de très pédagogique, dit-elle, pour transmettre un savoir sur une plante qui était l'objet de n'importe quel discours.» Ensuite, pendant dix ans, Michka et Hugo publient d'autres ouvrages, voyagent jusqu'à ce qu'on leur demande de rééditer leur opus cannabis. «Nous nous sommes aperçus que le contexte avait totalement changé. Quand nous avions publié, en 1978, la libéralisation semblait sur le point d'aboutir. En 1992, tout avait changé. La société s'était refermée. Les discours étaient plus faux que jamais. Il fallait en tenir compte, écrire autre chose.»

Sérieux, documenté, fourmillant d'anecdotes, le deuxième livre est lu par les spécialistes. On invite Michka dans des colloques. Elle aide des journalistes en procès contre les «prohibitionnistes» comme Gabriel Nahas. Via le cannabis, elle découvre également la plante mère, le chanvre. «Je me suis aperçue que la France, l'un des pays les plus répressifs, avait eu dans le passé une tradition de culture de cette plante.» Elle a donc des vêtements, de l'huile de chanvre et un nouveau livre, consacré à ses vertus. «Si nos sociétés y sont hostiles, c'est sans doute parce qu'elle vient d'Orient.»

Plus encore que les plantes, c'est l'idée même de prohibition qui, à la fin, gêne Michka: «Quand l'alcool fut interdit aux Etats-Unis, les gens n'ont pas cherché de la bière mais des alcools forts. Ce système nous a mis dans une situation inextricable. Il favorise les produits mortels, les substances concentrées, plus faciles à transporter. Or, le problème n'est plus: doit-on vendre la mort?, puisque, de toute façon, la mort se vend. Le problème, c'est de mettre en place un système tel qu'il y ait un minimum de mauvais usage.» Mais l'odeur du thé à la cannelle enfin chaud chasse tous ces discours. Cet été, pendant trois mois, la famille entière part en cargo pour la cabane. Pour échapper aux procès, documents, discussions, articles sur la «pasionaria». «Beaucoup de gens profitent assez peu de la liberté qu'ils pourraient prendre. Moi, si.»

Michka en 8 dates

1944. Naissance en Dordogne de Michèle Seeliger, dite Michka.

1964. Départ pour l'Angleterre.

1970. Emigration au Canada.

1975. Retour en France.

1977. Premier livre: le Grand Départ et la vie sur l'eau (Albin Michel).

1978. Retour au Canada. Le Dossier vert d'une drogue douce (Laffont), avec son mari Hugo Verlomme.

1993. Le cannabis est-il une drogue? (Georg) par les mêmes.

1995. Le Chanvre, renaissance du cannabis (Georg).

Philippe Lançon

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