Jugements de la Cour suprême R. c. Clay

Droit constitutionnel — Charte des droits — Justice fondamentale — Liberté et sécurité de la personne
— Dispositions de la Loi sur les stupéfiants interdisant la possession de marihuana
— Possibilité d’emprisonnement en cas de déclaration de culpabilité pour simple possession
— Cette interdiction porte-t-elle atteinte à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés ?
— Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, ch. N-1, art. 3(1), annexe.

Rappelons qu'en :
2001: Le Canada a légalisé l'usage du cannabis à des fins médicales,
en réponse à une décision de la Cour d'appel de l'Ontario.

Que depuis 2018 le Canada a légalisé le cannabis récréatif.
Limites de possession sur soi :
Les adultes peuvent posséder jusqu'à 30 grammes de cannabis légal.

Culture personnelle sauf au Québec:
Les particuliers peuvent cultiver jusqu’à quatre plants de cannabis par résidence pour leur usage personnel.

Adultes : 18-19 ans selon les provinces et territoire qui ont choisi l'harmonisation.
21 ans au Québec.

Québec avec son mode d’encadrement caquiste considéré comme un régime dit « de prohibition »

Jugements de la Cour suprême
R. c. Clay

Jugements de la Cour suprême R. c. Clay
Collection Jugements de la Cour suprême
Date 2003-12-23
Référence neutre 2003 CSC 75
Recueil [2003] 3 RCS 735
Numéro de dossier 28189
Juges McLachlin, Beverley; Gonthier, Charles Doherty; Iacobucci, Frank; Major, John C.; Bastarache, Michel; Binnie, William Ian Corneil; Arbour, Louise; LeBel, Louis; Deschamps, Marie
En appel de Ontario
Sujets Droit constitutionnel
Notes Renseignements sur les dossiers de la Cour : 28189
R. c. Clay , [2003] 3 R.C.S. 735, 2003 CSC 75

Christopher James Clay Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Procureur général de l’Ontario, British Columbia Civil Liberties

Association et Association canadienne des libertés civiles Intervenants

Répertorié : R. c. Clay

Référence neutre : 2003 CSC 75.

No du greffe : 28189.

2003 : 6 mai; 2003 : 23 décembre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour, LeBel et Deschamps.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

Droit constitutionnel — Charte des droits — Justice fondamentale — Liberté et sécurité de la personne — Dispositions de la Loi sur les stupéfiants interdisant la possession de marihuana — Possibilité d’emprisonnement en cas de déclaration de culpabilité pour simple possession — Cette interdiction porte-t-elle atteinte à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés ? — Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, ch. N-1, art. 3(1), annexe.

L’accusé était propriétaire, en Ontario, d’un magasin où il vendait divers produits du chanvre, notamment des dérivés industriels, des logos de marihuana et des pipes. Il vendait également de jeunes plants de marihuana. À la suite de l’achat par un agent d’infiltration d’une petite bouture de plant de marihuana au magasin, des accusations ont été portées en vertu de l’ancienne Loi sur les stupéfiants. Les policiers ont également saisi des semis de marihuana ainsi qu’une petite quantité de marihuana lors de l’exécution des mandats de perquisition au magasin et à la résidence de l’accusé. La défense de l’accusé a reposé en grande partie sur l’argument selon lequel l’interdiction de posséder de la marihuana violait l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés . Cet argument d’inconstitutionnalité a été rejeté tant par le tribunal de première instance que par la Cour d’appel. L’accusé a été déclaré coupable de possession de cannabis sativa, de possession de cannabis sativa en vue d’en faire le trafic et de trafic de cannabis sativa. L’appel formé par l’accusé a été rejeté par la Cour d’appel.

Arrêt (les juges Arbour, LeBel et Deschamps sont dissidents en partie) : Le pourvoi est rejeté.

La juge en chef McLachlin et les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie : Bien que la peine d’emprisonnement dont l’accusé est passible par suite de sa déclaration de culpabilité pour simple possession de marihuana menace sa liberté et la sécurité de sa personne, cette menace est compatible avec les principes de justice fondamentale. En conséquence, pour les motifs exposés dans l’arrêt Malmo-Levine, le pourvoi est rejeté.

Le droit à la liberté prévu à l’art. 7 de la Charte touche à l’essence même de ce que signifie le fait d’être une personne humaine autonome dotée de dignité et d’indépendance eu égard aux sujets qui peuvent à juste titre être qualifiés de fondamentalement ou d’essentiellement personnels. Le droit à la liberté n’emporte pas celui de consommer de la marihuana à des fins récréatives.

La portée de l’interdiction visant la marihuana n’est pas excessive au point de porter atteinte au droit à la justice fondamentale garanti à l’accusé par l’art. 7, en ce qu’elle n’est pas exagérément disproportionnée par rapport à l’intérêt qu’a l’État à empêcher la consommation de marihuana de causer préjudice aux consommateurs et à autrui. La preuve indiquait qu’une interdiction limitée ne serait pas efficace, du fait qu’il est impossible d’identifier à l’avance au moins certains groupes ou consommateurs chroniques vulnérables. Quoi qu’il en soit, les effets de la consommation d’une drogue psychoactive comme la marihuana sur les consommateurs en phase aiguë — par exemple dans les cas où tout consommateur conduisant un véhicule à moteur ou faisant fonctionner un autre appareil complexe constitue un danger pour le public — établissent un fondement rationnel justifiant d’assujettir tous les consommateurs à l’interdiction.

L’argument de l’accusé selon lequel le terme cannabis sativa utilisé à l’annexe de la Loi n’a pas pour effet d’interdire, sur le plan criminel, la possession de plants (ou d’autres substances) dépourvus de tetrahydrocannabinol (THC) et qui sont utilisés exclusivement à titre de produits industriels n’est étayé ni par les faits ni par le droit. La tentative de l’accusé d’incorporer par interprétation à la Loi une concentration limite de THC à partir de l’intention présumée du Parlement exigerait que l’on prête au législateur l’intention d’établir un régime difficile d’application et peu favorable à la réalisation de son objectif global.

La définition législative de « stupéfiant » ne présente aucune ambiguïté. La Loi n’exige pas la présence de THC dans une substance pour que celle-ci soit classée comme stupéfiant interdit.

La juge Arbour (dissidente en partie) : Pour les motifs exposés dans l’arrêt Malmo-Levine, le pourvoi est accueilli mais seulement à l’égard de l’accusation de possession de cannabis sativa.

Le juge LeBel (dissident en partie) : Sous réserve des observations faites dans l’arrêt Malmo-Levine, il y a accord avec le dispositif proposé par la juge Arbour.

La juge Deschamps (dissidente en partie) : Sous réserve des observations faites dans l’arrêt Malmo-Levine, il y a accord avec le dispositif proposé par la juge Arbour.

Jurisprudence

Citée par les juges Gonthier et Binnie

Arrêt appliqué : R. c. Malmo-Levine, [2003] 3 R.C.S. 571, 2003 CSC 74; arrêts mentionnés : R. c. Parker (2000), 146 C.C.C. (3d) 193; R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417; Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] 3 R.C.S. 844; R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315; R. c. Morgan, [2002] E.W.J. No. 1244 (QL), [2002] EWCA Crim 721; R. c. Ham, [2002] E.W.J. No. 2551 (QL), [2002] EWCA Crim 1353; R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606; R. c. Heywood, [1994] 3 R.C.S. 761; Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42; R. c. Dunn, [1982] 2 R.C.S. 677.

Citée par la juge Arbour (dissidente en partie)

R. c. Malmo-Levine, [2003] 3 R.C.S. 571, 2003 CSC 74.

Citée par le juge LeBel (dissident en partie)

R. c. Malmo-Levine, [2003] 3 R.C.S. 571, 2003 CSC 74.

Citée par la juge Deschamps (dissidente en partie)

R. c. Malmo-Levine, [2003] 3 R.C.S. 571, 2003 CSC 74.

Lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés , art. 1 , 7 .

Convention unique sur les stupéfiants de 1961, R.T. Can. 1964 no 30, art. 28(2).

Loi de l’opium et des drogues narcotiques, 1923, S.C. 1923, ch. 22.

Loi réglementant certaines drogues et autres substances , L.C. 1996, ch. 19 .

Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, ch. N-1 [abr. 1996, ch. 19, art. 94], art. 2 « chanvre indien » ou « marihuana », « stupéfiant », 3, ann., art. 3 [maintenant L.C. 1996, ch. 19 , ann. II, art. 1].

Doctrine citée

Angleterre. Advisory Committee on Drug Dependence. Cannabis : Report by the Advisory Committee on Drug Dependence. London : Her Majesty’s Stationery Office, 1968.

Australie-Méridionale. Royal Commission into the Non-Medical Use of Drugs. Cannabis : A Discussion Paper. Adelaide : Gillingham Printers, 1978.

Canada. Commission d’enquête sur l’usage des drogues à des fins non médicales. Le cannabis : Rapport de la Commission d’enquête sur l’usage des drogues à des fins non médicales. Ottawa : Information Canada, 1972.

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1983.

États-Unis. National Commission on Marihuana and Drug Abuse. Marihuana : A Signal of Misunderstanding, First Report. Washington : U.S. Government Printing Office, 1972.

États-Unis. The President’s Commission on Law Enforcement and Administration of Justice. Task Force on Narcotics and Drug Abuse. Task Force Report : Narcotics and Drug Abuse — Annotations and Consultants’ Papers. Washington : U.S. Government Printing Office, 1967.

Hall, Wayne, Nadia Solowij and Jim Lemon. National Drug Strategy : The health and psychological consequences of cannabis use. Prepared by the National Drug and Alcohol Research Centre for the National Task Force on Cannabis. Canberra : Australian Government Publishing Service, 1994.

Inde. Hemp Drugs Commission. Marijuana : Report of the Indian Hemp Drugs Commission 1893-1894. Silver Spring, Md. : Thos. Jefferson Publishing Co., 1969.

New York (Ville). Mayor’s Committee on Marihuana. The Marihuana Problem in the City of New York. Metuchen, N.J. : Scarecrow Reprint Corp., 1973 (reprint of 1944 ed.).

Single, Eric W. « At the crossroads one more time : the Impact of the “Decriminalization” of cannabis in the U.S. and elsewhere ». Paper presented at the Interdisciplinary Conference on Canadian Cannabis Policy, University of Western Ontario Faculty of Law, London, Ontario, September 23, 1995.

Small, Ernest. The Species Problem in Cannabis : Science & Semantics, vols. 1-2. Toronto : Corpus, 1979.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (2000), 49 O.R. (3d) 577, 188 D.L.R. (4th) 468, 135 O.A.C. 66, 146 C.C.C. (3d) 276, 37 C.R. (5th) 170, 75 C.R.R. (2d) 310, [2000] O.J. No. 2788 (QL), qui a confirmé une décision de la Cour de justice de l’Ontario (Division générale) (1997), 9 C.R. (5th) 349, [1997] O.J. No. 3333 (QL). Pourvoi rejeté, les juges Arbour, LeBel et Deschamps sont dissidents en partie.

Paul Burstein et Karen Unger, pour l’appelant.

S. David Frankel, c.r., Kevin Wilson et W. Paul Riley, pour l’intimée.

Milan Rupic, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

Joseph J. Arvay, c.r., pour l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association.

Andrew K. Lokan et Andrew C. Lewis, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.

Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie rendu par

1 Les juges Gonthier et Binnie — Le présent appel est l’un des trois pourvois dans lesquels notre Cour est appelée à se prononcer sur la constitutionnalité de l’interdiction criminelle de posséder de la marihuana à des fins personnelles, interdiction prévue par la Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, ch. N‑1 (la « Loi »), maintenant abrogée et remplacée par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances , L.C. 1996, ch. 19 .

2 Les motifs exposés par les juges de notre Cour dans les deux autres pourvois, R. c. Malmo‑Levine; R. c. Caine, [2003] 3 R.C.S. 571, 2003 CSC 74, sont déposés simultanément.

3 Dans cette trilogie, nous confirmons le pouvoir du Parlement de légiférer pour interdire la possession de marihuana. Relativement à la principale question en litige, celle de savoir si l’interdiction viole l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés , nous sommes d’avis que, bien que la peine d’emprisonnement dont l’appelant est passible par suite de sa déclaration de culpabilité pour simple possession de marihuana menace sa liberté et la sécurité de sa personne, cette menace est compatible avec les principes de justice fondamentale. Le pourvoi est donc rejeté.

4 Eu égard à l’art. 7 de la Charte , le rôle de notre Cour n’est pas de « micro‑gérer » la création ou le maintien par le Parlement d’interdictions assorties de peines, mais plutôt de définir les limites de la compétence législative énoncée dans la Constitution. La décision d’agir ou non à l’intérieur de ces limites appartient au Parlement. L’appelant, tout comme les appelants dans les affaires Malmo‑Levine et Caine, se livre à une attaque généralisée contre la sagesse de la décision de criminaliser la simple possession de marihuana. L’aspect auquel doit s’attacher notre Cour n’est pas l’opportunité de l’interdiction mais uniquement sa constitutionnalité. Nous estimons que le Parlement a compétence pour criminaliser la possession de la marihuana s’il choisit de continuer à le faire, mais il lui est également loisible de décriminaliser, ou d’assouplir de quelque autre manière, tout aspect des mesures législatives applicables à la marihuana qu’il considère ne plus être dans l’intérêt public.

I. Les faits

5 Au moment de la commission de l’infraction, l’appelant était âgé de 26 ans et propriétaire, à London en Ontario, d’un magasin appelé « The Great Canadian Hemporium » où il vendait divers produits du chanvre, notamment des dérivés industriels, des logos de marihuana et des pipes. Il vendait également de jeunes plants de marihuana. Le magasin possédait une vaste collection de livres sur des sujets intéressant les consommateurs de marihuana, et on y diffusait sans frais des renseignements concernant cette substance. Il est devenu en quelque sorte un apôtre de la légalisation de la marihuana.

6 L’appelant consomme de la marihuana, mais non pour des raisons médicales. Il lui est arrivé de vendre, à son magasin, des boutures de plants de marihuana à des personnes consommant de la marihuana pour des raisons médicales. Ces personnes ne sont toutefois pas parties au pourvoi dont notre Cour est saisie. La question de la consommation médicale de la marihuana n’est donc pas en litige dans les présents pourvois.

7 Des accusations ont été portées à la suite de l’achat, par un agent d’infiltration, d’une petite bouture de plant de marihuana au magasin. Les policiers ont également saisi des semis de marihuana ainsi qu’une petite quantité de marihuana (6,1 grammes) lors de l’exécution des mandats de perquisition au magasin et à la résidence de l’appelant. L’appelant a été accusé, en vertu de la Loi, de possession de cannabis sativa, de trafic de cannabis sativa, de possession de cannabis sativa en vue d’en faire le trafic et de culture illégale de marihuana.

8 La défense de l’appelant a reposé en grande partie sur son argument d’inconstitutionnalité des dispositions législatives, qui a été rejeté tant par le tribunal de première instance que par la Cour d’appel de l’Ontario. Il a également plaidé que le ministère public n’avait pas fait la preuve des infractions, mais cet argument a lui aussi été rejeté. Devant notre Cour, l’appelant a présenté des arguments portant sur la constitutionnalité et l’interprétation de l’infraction de possession.

II. Les dispositions législatives et constitutionnelles pertinentes

Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, ch. N‑1 (abrogée par L.C. 1996, ch. 19, art. 94 , en vigueur le 14 mai 1997 (TR/97‑47))

9 Aux termes de l’art. 2 de la Loi, « marihuana » s’entend du Cannabis sativa L. et « stupéfiant » de toute « [s]ubstance énumérée à l’annexe, ou toute préparation en contenant ». La marihuana est devenue une drogue inscrite à l’annexe lorsque la Loi de l’opium et des drogues narcotiques, 1923, S.C. 1923, ch. 22 (remplacée par la Loi), a été édictée par le Parlement en 1923. Voici le texte des dispositions pertinentes de la Loi qui sont contestées, dans la mesure où elles portent sur la simple possession de la marihuana :

3. (1) Sauf exception prévue par la présente loi ou ses règlements, il est interdit d’avoir un stupéfiant en sa possession.

(2) Quiconque enfreint le paragraphe (1) commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité :

a) par procédure sommaire, pour une première infraction, une amende maximale de mille dollars et un emprisonnement maximal de six mois, ou l’une de ces peines, et, en cas de récidive, une amende maximale de deux mille dollars et un emprisonnement maximal d’un an, ou l’une de ces peines;

b) par mise en accusation, un emprisonnement maximal de sept ans.

. . .

Annexe

. . .

3. Chanvre indien (Cannabis sativa), ses préparations, dérivés et préparations synthétiques semblables, notamment :

(1) Résine de cannabis,

(2) Cannabis (marihuana),

(3) Cannabidiol,

(4) Cannabinol (n‑amyl‑3 triméthyl‑6,6,9 dibenzo‑6 pyran‑l‑ol),

(4.1) Nabilone ((")-trans-(diméthylheptyl-1,1)-3 hexahydro‑6, 6a, 7, 8, 10, 10a hydroxy‑1 diméthyl‑6,6 9H‑dibenzo [b,d] pyrannone‑9),

(5) Pyrahexyl (n‑hexyl‑3 triméthyl‑6,6,9 tétrahydro‑7,8,9,10 dibenzo‑6 pyran‑l‑ol),

(6) Tétrahydrocannabinol,

mais non compris :

(7) Graine de cannabis stérile.

Charte canadienne des droits et libertés

10 L’article 7 de la Charte est ainsi rédigé :

Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

III. L’historique des procédures judiciaires

1. Cour de justice de l’Ontario (Division générale) (1997), 9 C.R. (5th) 349

11 Le juge McCart a rejeté l’argument de l’appelant selon lequel un comportement doit causer un préjudice concret pour que le Parlement puisse l’interdire. Quoi qu’il en soit, le juge a estimé que la consommation de marihuana cause effectivement un certain préjudice, appuyant sa conclusion sur plus de deux semaines de témoignages d’experts, produits tant par le ministère public que par la défense, ainsi que sur les observations exhaustives des parties. Dans ses motifs, le juge a fait un examen assez détaillé d’un grand nombre d’études et de rapports, dont quelques‑uns ont fait l’objet de témoignages d’experts, notamment : Marijuana : Report of the Indian Hemp Drugs Commission 1893‑1894 (Inde, 1969); The Marihuana Problem in the City of New York (É.‑U., 1973 (réimpression de l’éd. de 1944)) (le « rapport LaGuardia »); The President’s Commission on Law Enforcement and Administration of Justice, Task Force on Narcotics and Drug Abuse, Task Force Report : Narcotics and Drug Abuse — Annotations and Consultants’ Papers (É.‑U., 1967); Cannabis : Report by the Advisory Committee on Drug Dependence (Angleterre, 1968); First Report of the National Commission on Marihuana and Drug Abuse, Marihuana : A Signal of Misunderstanding (É.‑U., 1972) (la « Commission Shafer »); Le cannabis : Rapport de la Commission d’enquête sur l’usage des drogues à des fins non médicales (Canada, 1972) (la « Commission Le Dain »); Cannabis : A Discussion Paper par la Royal Commission into the Non‑Medical Use of Drugs (Australie‑Méridionale, 1978); Report of the National Task Force on Cannabis, National Drug Strategy : The health and psychological consequences of cannabis use (Australie, 1994) (« rapport Hall »).

12 Après un examen minutieux de la preuve et d’autres éléments d’information documentaire, le juge du procès a exposé en détail ses constatations (qui sont virtuellement identiques à celles formulées par le juge du procès dans l’affaire Caine). Il a ensuite dit ceci, au par. 26 :

[traduction] Cela dit, il existait également parmi les experts qui ont témoigné un consensus général selon lequel la consommation de marihuana n’est pas complètement inoffensive.

Puis il a ajouté, au par. 46 :

[traduction] . . . je crois avoir amplement démontré que la consommation de marihuana cause effectivement un préjudice, quoique celui-ci ne soit peut-être pas aussi grand qu’on l’avait cru initialement.

13 Par ailleurs, il a conclu que la consommation de marihuana pouvait aussi avoir des effets bénéfiques. Sur la foi d’un certain nombre d’études, il a estimé qu’il est [traduction] « généralement reconnu » que la « marihuana est efficace pour réduire la nausée et les vomissements, et réduire la pression intra-oculaire associée au glaucome, les spasmes musculaires et l’hypertonie spastique. Des cancéreux suivant des traitements de chimiothérapie ont constaté que la consommation de marihuana est efficace pour combattre la nausée — et se révèle souvent même supérieure aux médicaments pharmaceutiques disponibles à cette fin. Des milliers de sidatiques fument également de la marihuana pour combattre la nausée et les vomissements causés par leur maladie et les traitements à l’AZT. Parce qu’elle stimule l’appétit, la marihuana combat également le syndrome de dépérissement rattaché au VIH, ce qui permet aux sidatiques de prendre du poids et de prolonger leur vie » (par. 33).

14 En conséquence, de conclure le juge du procès, la consommation de marihuana peut avoir à la fois des effets néfastes et des effets bénéfiques. Toutefois, en ce qui concerne certains aspects néfastes, [traduction] « on ne peut pas encore se prononcer » (au par. 31) :

[traduction] Après examen de ces rapports et d’autres éléments de preuve présentés de vive voix à l’audience, je ne peux que conclure qu’en ce qui concerne les effets néfastes concrets de la consommation de marihuana, on ne peut pas encore se prononcer.

15 Après avoir examiné le droit et la pratique en la matière dans d’autres pays, le juge du procès a conclu que, parmi toutes les grandes démocraties libérales ne faisant pas partie de l’Amérique du Nord, seules la France et la Nouvelle‑Zélande n’ont pris aucune mesure pour atténuer les effets des mesures législatives régissant le cannabis. Il a en conséquence dit ceci, au par. 13 :

[traduction] Les gouvernements nationaux du Canada et des États‑Unis semblent ne pas être tout à fait au diapason d’une partie importante du reste du monde occidental.

16 De plus, dans le cas des États‑Unis, le juge du procès a résumé la situation ainsi, au par. 19 :

[traduction] Dans les États suivants — Alaska, Maine, Minnesota, Mississippi, Nebraska et Oregon —, la possession de petites quantités de marihuana est considérée un « manquement civil » plutôt qu’un crime, essentiellement comme les infractions mineures au code de la route. Dans les États suivants, la possession de petites quantités de marihuana est réputée une infraction mineure : Californie, New York et Caroline du Nord (« misdemeanor »), Ohio (« minor misdemeanor ») et Colorado (« petty offence »).

(Voir E. W. Single, « At the crossroads one more time : the Impact of the “Decriminalization” of cannabis in the U.S. and elsewhere », Communication présentée à l’occasion de l’Interdisciplinary Conference on Canadian Cannabis Policy, University of Western Ontario Faculty of Law, London (Ontario), le 23 septembre 1995, note 2.)

17 Au terme de cet examen général, le juge du procès a tiré la conclusion suivante, au par. 24 :

[traduction] Dans la plupart des zones dites de « décriminalisation », la possession de marihuana demeure illégale, bien qu’on ait assoupli les sanctions. Toutefois, aucun pays occidental n’a décriminalisé la culture de cette substance, son trafic ou sa possession en vue d’en faire le trafic, ni allégé les peines applicables à ces infractions.

18 Se penchant ensuite sur le droit applicable, le juge du procès a accepté que le fait d’être passible d’une peine d’emprisonnement fait effectivement intervenir l’art. 7. Cependant, compte tenu de ses autres conclusions de fait, il a estimé que l’interdiction respectait les principes de justice fondamentale.

19 En définitive, l’appelant a été déclaré coupable de possession de cannabis sativa, de deux chefs de possession de cannabis sativa en vue d’en faire le trafic et d’un chef de trafic de cannabis sativa. Il a été condamné à une amende de 750 $ et à une période de probation.

2. Cour d’appel de l’Ontario (2000), 49 O.R. (3d) 577

20 Sur la question des effets préjudiciables liés à la consommation de marihuana à des fins non médicales, voici comment le juge Rosenberg a résumé son appréciation de la preuve dans la présente affaire :

[traduction] Dans l’affaire connexe R. c. Clay, j’ai examiné plus en profondeur les objectifs que vise l’État en interdisant la marihuana. Tout d’abord, l’État a intérêt à protéger la population contre les effets néfastes de la consommation de cette drogue. Il s’agit notamment des affections broncho-pulmonaires chez les humains; l’affaiblissement des facultés psychomotrices causé par la consommation de la marihuana, qui entraîne des risques d’accidents d’automobiles et qu’aucun mécanisme simple ne permet de détecter; le déclenchement possible de rechutes chez les personnes souffrant de schizophrénie; les effets néfastes pour le système immunitaire; les effets néfastes à long terme sur les capacités cognitives des enfants dont les mères ont consommé de la marihuana pendant la grossesse; les possibles effets négatifs à long terme sur les capacités cognitives des consommateurs chroniques et certaines preuves indiquant que les grands consommateurs peuvent développer une dépendance. Les autres objectifs sont les suivants : le respect des obligations découlant des traités internationaux auxquels le Canada est partie et la lutte contre le commerce intérieur et international des drogues illicites.

(R. c. Parker (2000), 146 C.C.C. (3d) 193 (C.A. Ont.), par. 143)

21 La Cour d’appel de l’Ontario a exprimé l’avis que le fait de consommer des substances intoxicantes, y compris de la marihuana, dans l’intimité de son foyer ne constitue pas un aspect fondamental de l’autonomie personnelle et de la dignité humaine de l’individu qui ferait entrer en jeu le droit à la liberté et à la sécurité que garantit l’art. 7 de la Charte . Pour ce qui est de la privation de liberté que causerait l’emprisonnement, le juge Rosenberg a accepté, pour les besoins de l’appel, l’existence d’un principe du préjudice portant que les activités prohibées doivent présenter à tout le moins une crainte raisonnée de préjudice à autrui ou à la société pour que le Parlement soit fondé à les interdire au moyen de mesures législatives de nature pénale. Néanmoins, même au regard de ce principe, le ministère public a pu établir l’existence d’une crainte raisonnée de préjudice liée à la consommation de marihuana, crainte qui n’était ni insignifiante ni négligeable. À la lumière des conclusions de fait du juge du procès, il était impossible d’affirmer que la décision du Parlement d’interdire la marihuana était sans fondement rationnel, ni que les dispositions législatives étaient arbitraires, injustes ou autrement incompatibles avec les principes de justice fondamentale.

22 Le ministère public avait prouvé que la substance trouvée en la possession de l’appelant était de la marihuana, qui est énumérée à l’annexe et un stupéfiant au sens de la Loi. L’appel a donc été rejeté.

IV. Les questions constitutionnelles

23 Le 19 octobre 2001, la Juge en chef a formulé les questions constitutionnelles suivantes :

1. Est‑ce que l’interdiction d’avoir en sa possession du Chanvre indien (cannabis sativa) aux fins de consommation personnelle — interdiction prévue au par. 3(1) de la Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, ch. N‑1, du fait de la mention de cette substance à l’art. 3 de l’annexe de cette loi (maintenant l’art. 1 de l’annexe II de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances , L.C. 1996, ch. 19 ) — porte atteinte à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés ?

2. Si la réponse à la question 1 est affirmative, l’atteinte est‑elle justifiée au regard de l’article premier de la Charte ?

3. Est‑ce que l’interdiction d’avoir en sa possession du Chanvre indien (cannabis sativa) aux fins de consommation personnelle — interdiction prévue au par. 3(1) de la Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, ch. N‑1, du fait de la mention de cette substance à l’art. 3 de l’annexe de cette loi (maintenant l’art. 1 de l’annexe II de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances , L.C. 1996, ch. 19 ) — relève de la compétence législative du Parlement du Canada en tant que règle de droit édictée soit en vertu de l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 pour assurer la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada, soit en vertu du pouvoir de légiférer sur le droit criminel prévu au par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 , soit en vertu d’un autre pouvoir?

V. L’analyse

24 Le présent pourvoi et les pourvois Malmo‑Levine et Caine ont été entendus ensemble et, dans les motifs déposés simultanément dans ces pourvois, notre Cour s’est prononcée sur les principaux arguments invoqués par l’appelant à l’encontre de la validité constitutionnelle de l’interdiction visant la possession de marihuana.

25 Nous allons examiner les trois arguments que continuent de soulever l’appelant et qui n’ont pas été plaidés dans les affaires Malmo‑Levine et Caine.

26 Premièrement, l’appelant prétend que porte atteinte aux principes de justice fondamentale le fait de criminaliser toute activité qui ne constitue rien de plus que l’exercice par l’intéressé de son autonomie personnelle dans l’intimité de son foyer, sauf si le ministère public peut démontrer que l’activité criminalisée cause un préjudice substantiel à la société. Il affirme en outre ceci :

[traduction] Bien qu’une crainte raisonnable de subir un préjudice « non insignifiant » ou « non négligeable » puisse suffire, dans un cadre réglementaire, pour justifier d’interdire la consommation personnelle et privée d’une substance, elle n’est pas suffisante, sur le plan constitutionnel, pour justifier le recours à l’incarcération et l’établissement d’un casier judiciaire pour décourager ce genre de consommation. [Nous soulignons.]

Cet argument est similaire à celui fondé sur l’art. 7 présenté dans les affaires Malmo‑Levine et Caine, mais en l’espèce l’appelant insiste davantage sur l’aspect lié au respect de la vie privée (l’argument relatif au « respect de la vie privée »).

27 Deuxièmement, l’appelant prétend que, même si elle est valide, l’interdiction a néanmoins une « portée excessive ». Bien que [traduction] « l’expert du ministère public estime qu’il y a, au Canada, environ seulement 30 000 consommateurs chroniques à l’égard desquels il existe un certain risque de préjudice, l’interdiction criminelle a eu des effets négatifs sur au moins 600 000 Canadiens », qui ont des casiers judiciaires parce qu’ils ont été reconnus coupables de simple possession de marihuana. Une interdiction mieux conçue pourrait donc permettre la réalisation des objectifs du Parlement, alors qu’une interdiction inutilement large est inconstitutionnelle (l’argument fondé sur la « portée excessive »).

28 Troisièmement, l’appelant prétend qu’il faudrait considérer que le terme cannabis sativa à l’annexe de la Loi n’a pas pour effet d’interdire, sur le plan criminel, la possession de plants (ou d’autres substances) qui n’ont aucun effet psychoactif et sont utilisés exclusivement à titre de produits industriels (chanvre). Si une telle interprétation atténuante est donnée à la prohibition, affirme-t‑il, le ministère public aurait alors dans toute poursuite le fardeau de prouver que la substance saisie contient une concentration minimale de l’élément intoxicant (THC), afin d’établir qu’il s’agit d’une substance psychoactive ou intoxicante et non d’un simple produit industriel (l’argument fondé sur l’« interprétation des lois »).

29 Nous allons examiner chacun de ces arguments à tour de rôle.

1. L’argument relatif au respect de la vie privée

30 L’appelant affirme que [traduction] « la décision personnelle de s’intoxiquer en privé en consommant du cannabis plutôt que d’autres substances intoxicantes plus nocives mais licites » est une activité protégée par l’art. 7 de la Charte . Voici comment il exprime la chose :

[traduction] L’activité concernée n’est pas constitutionnalisée, mais, en raison de sa nature personnelle et privée, il faut davantage qu’un préjudice « non insignifiant » pour que cette activité puisse être criminalisée.

31 L’appelant invoque les observations du juge La Forest selon lesquelles « la notion de vie privée est au cœur de celle de la liberté dans un État moderne » (R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417, p. 427) et « la protection du droit à la liberté garanti par l’art. 7 de la Charte s’étend au droit à une sphère irréductible d’autonomie personnelle où les individus peuvent prendre des décisions intrinsèquement privées sans intervention de l’État » (Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] 3 R.C.S. 844, par. 66). Toutefois, cet aspect « privé » de l’art. 7 s’entend de « décisions intrinsèquement privées » d’une importance fondamentale pour la personne. S’exprimant uniquement en son propre nom, la juge Wilson a affirmé qu’il visait « la décision que prend une femme d’interrompre sa grossesse » (R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, p. 171). S’exprimant au nom d’une pluralité de juges dans l’arrêt B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315, par. 83, le juge La Forest a mentionné à ce sujet « les droits d’éduquer un enfant, de prendre soin de son développement et de prendre des décisions pour lui dans des domaines fondamentaux comme les soins médicaux ». Dans l’arrêt Godbout, précité, le juge La Forest a élargi la « sphère irréductible d’autonomie personnelle » (par. 66) aux « considérations extrêmement personnelles qui déterminent souvent le choix du lieu où une personne décide de vivre » (par. 67), mais six des neuf juges qui ont statué sur ce pourvoi n’ont pas souscrit à cette opinion. Il ressort selon nous de ces diverses citations que le droit à la liberté prévu à l’art. 7 est considéré comme un droit touchant à l’essence même de ce que signifie le fait d’être une personne humaine autonome dotée de dignité et d’indépendance eu égard aux « sujets qui peuvent à juste titre être qualifiés de fondamentalement ou d’essentiellement personnels » (Godbout, par. 66).

32 En toute déférence, fumer de la marihuana à des fins récréatives n’a rien d’« essentiellement personnel » ou d’« intrinsèquement privé ». L’appelant dit que les consommateurs fument pratiquement toujours dans l’intimité de leur foyer, mais ce choix est l’expression d’une préférence dans leur mode de vie et n’est pas « essentiel » à l’activité de fumer elle‑même. De fait, comme l’affirment l’appelant ainsi que MM. Malmo‑Levine et Caine dans leur exposé conjoint des faits législatifs, [traduction] « le cannabis est consommé principalement à l’occasion d’activités sociales avec des amis et des conjoints le soir, la fin de semaine et à d’autres moments libres » (par. 18). L’opinion exprimée par l’expert de la défense, le Dr J. P. Morgan, selon laquelle la marihuana est surtout consommée de façon occasionnelle à des fins récréatives, a fait impression sur le juge de première instance. Sur ce point, on peut également se reporter à une décision portant sur l’application de la Convention européenne des droits de l’homme rendue récemment par un tribunal anglais en application de la Human Rights Act 1998 (R.-U.). Dans l’arrêt R. c. Morgan, [2002] E.W.J. No. 1244 (QL), [2002] EWCA Crim 721, la Court of Criminal Appeal d’Angleterre a fait l’observation suivante, au par. 11 :

[traduction] Le droit à la vie privée n’emporte pas le droit de s’intoxiquer volontairement, ni celui de posséder ou de cultiver du cannabis, peu importe que ce soit pour le consommer personnellement chez soi ou non.

Voir également R. c. Ham, [2002] E.W.J. No. 2551 (QL), [2002] EWCA Crim 1353. La consommation à des fins récréatives n’est pas comparable aux autres activités considérées fondamentales à la vie privée d’un individu.

33 À notre avis, le fait d’invoquer le droit au respect de la vie privée ne renforce d’aucune façon l’argument plus général relatif au mode de vie, que nous avons examiné et rejeté dans les affaires Malmo‑Levine et Caine.

2. L’argument fondé sur la portée excessive

34 L’appelant affirme que l’interdiction générale dont le Parlement frappe la possession de marihuana a pour effet de tendre un filet beaucoup trop large et de prendre dans ses mailles un nombre beaucoup trop grand de consommateurs qui [traduction] « n’ont vraiment rien fait de mal », et ce dans une tentative (largement inefficace à son avis) visant à protéger de certains effets préjudiciables un faible pourcentage de consommateurs chroniques.

35 La portée excessive est une notion pertinente à la fois pour déterminer s’il y a eu atteinte à un droit garanti par la Charte (en l’espèce par l’art. 7) et, si une atteinte prima facie est constatée, pour décider du bien-fondé de la justification invoquée.

36 Appliquée dans l’analyse fondée sur l’article premier de la Charte , cette notion s’inscrit bien dans le « volet atteinte minimale » du critère énoncé dans Oakes : voir R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, p. 629. Évidemment, dans l’application de l’article premier, le tribunal examine une atteinte à une activité protégée par la Constitution. Dans un tel cas, comme le tribunal a au préalable conclu à l’existence d’une atteinte à un droit ou à une liberté garanti par la Charte , il se demande alors si cette atteinte constitue une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Dans les motifs énoncés dans les arrêts Malmo‑Levine et Caine, nous avons conclu que la consommation de marihuana n’est pas, en soi, une activité protégée par la Constitution. Par conséquent, en tant qu’aspect de l’analyse fondée sur l’article premier, le critère de la portée excessive ne joue pas en l’espèce.

37 Traitant du critère de la portée excessive dans le cadre de l’analyse fondée sur l’art. 7 dans l’arrêt R. c. Heywood, [1994] 3 R.C.S. 761, le juge Cory a fait la remarque suivante, à la p. 793 :

Lorsqu’une loi a une portée excessive, il s’ensuit qu’elle est arbitraire ou disproportionnée dans certaines de ses applications.

38 Dans ce contexte, la portée excessive s’attache aux atteintes potentielles à la justice fondamentale lorsque l’effet préjudiciable d’une mesure législative sur les personnes qu’elle touche est exagérément disproportionné par rapport à l’intérêt général que le texte de loi tente de protéger. À cet égard, comme l’a souligné le juge Cory, la portée excessive est liée au caractère arbitraire. Le juge Cory a ajouté ce qui suit dans l’arrêt Heywood, p. 793 :

Lorsqu’on analyse une disposition législative pour déterminer si elle a une portée excessive, il y a lieu de faire preuve de retenue à l’égard des moyens choisis par le législateur. Bien que les tribunaux aient l’obligation constitutionnelle de veiller à ce qu’une loi soit compatible avec la Charte , le législateur doit avoir le pouvoir de faire des choix de principe.

39 Comme nous l’expliquons dans les affaires Malmo‑Levine et Caine, le degré approprié de déférence évoqué dans Heywood est intégré à la norme applicable en matière de « disproportion exagérée ». Nous ne croyons pas que l’interdiction frappant la consommation de marihuana est exagérément disproportionnée à l’intérêt qu’a l’État à empêcher la consommation de marihuana de causer préjudice aux consommateurs et à autrui. Nous nous sommes reportés précédemment aux conclusions de fait du juge du procès à l’égard du préjudice. Bien que ces conclusions soient modérées et mesurées, et que le juge insiste sur le fait qu’« on ne peut pas encore se prononcer » sur certains aspects, elles reconnaissent néanmoins l’intérêt général que le Parlement est en droit de protéger.

40 Quant à l’argument selon lequel l’interdiction a une portée excessive parce qu’elle vise des fumeurs qui « n’ont vraiment rien fait de mal », il ne fait aucun doute que le Parlement a voulu que l’interdiction soit complète et c’est ainsi qu’il a disposé. La preuve indiquait qu’une interdiction limitée ne serait pas efficace, du fait qu’il est impossible d’identifier à l’avance au moins certains groupes vulnérables ou consommateurs chroniques. Quoi qu’il en soit, les effets de la consommation d’une drogue psychoactive comme la marihuana sur les consommateurs en phase aiguë — par exemple dans les cas où tout consommateur conduisant un véhicule à moteur ou faisant fonctionner un autre appareil complexe constitue un danger pour le public (situation qui, jusqu’à un certain point, suscite plus de problèmes que l’état d’ivresse, du fait qu’il n’existe pas d’instrument de détection simple et efficace) — établissent un fondement rationnel justifiant d’assujettir tous les consommateurs à cette interdiction, si le Parlement estime qu’il est dans l’intérêt public d’agir ainsi. Par conséquent, nous rejetons l’argument de l’appelant selon lequel la portée de l’interdiction visant la marihuana est excessive et viole de ce fait le droit à la justice fondamentale que lui garantit l’art. 7.

3. L’argument fondé sur l’interprétation des lois

41 L’appelant plaide que la description du cannabis sativa vise des plantes qui ne produisent que du chanvre industriel non intoxicant. Ces plantes ne sont pas nocives et, affirme-t‑il, le Parlement n’a pu vouloir qu’elles soient visées par l’interdiction.

42 Il est notoire que le composant intoxicant (ou psychoactif) du cannabis sativa est le tétrahydrocannabinol (THC). L’appelant prétend que le ministère public est tenu de prouver que la substance saisie est non seulement du cannabis sativa mais aussi qu’elle possède des propriétés intoxicantes (ou psychoactives), lesquelles selon lui requièrent dans chaque cas la preuve que la concentration en THC s’élève à au moins 0,3 pour 100.

43 À notre avis, ni les faits ni le droit n’étayent cet argument.

a) Le fondement factuel

44 Le texte de loi ne parle pas de la concentration de THC. La teneur de 0,3 pour 100 en THC que propose l’appelant correspond à celle établie à l’égard des permis délivrés par le gouvernement aux exploitants de cultures industrielles, qui sont tenus de détruire tout végétal excédant cette limite. Cette limite correspond également au pourcentage maximal prévu par la réglementation pertinente de l’Union européenne à l’égard du cannabis industriel.

45 En réalité, il semble que le THC soit un composant que l’on retrouve en concentrations diverses tant dans le chanvre industriel que dans la marihuana psychoactive. Il existe une souche (ou sous‑espèce) [traduction] « faiblement intoxicante » et une autre souche (ou sous‑espèce) « fortement intoxicante », et cette ligne de démarcation est arbitraire d’après le scientifique du gouvernement qui a proposé la norme. Voici ce qu’a révélé son contre‑interrogatoire à cet égard :

[traduction]

Q. Vous avez déterminé qu’il existe une sous‑espèce très riche en THC, mais très pauvre en cannabidiol, n’est‑ce pas?

R. Oui.

Q. Et que cette sous‑espèce tend à correspondre à l’espèce fortement intoxicante?

R. Oui.

Q. Et vous décrivez également ce point dans vos travaux comme étant le « phénotype de la drogue »?

R. Oui.

Q. Et vous en parlez de la sorte parce que seules les souches de cannabis qui contiennent une forte concentration de THC se prêtent à la préparation de drogues à base de cannabis?

R. Exact.

Q. L’autre sous‑espèce que vous avez identifiée, ou définie, était riche en cannabidiol, mais faible en THC?

R. Exact.

Q. Et elle correspond à la sous‑espèce faiblement intoxicante?

R. Exact. [Nous soulignons.]

46 L’auteur de ce témoignage est le Dr Ernest Small, scientifique chevronné d’Agriculture Canada comptant de nombreuses publications à son actif, notamment un ouvrage en deux volumes intitulé The Species Problem in Cannabis : Science & Semantics (1979). Il a expliqué que le cannabis constitue le genre végétal et le cannabis sativa l’espèce. À l’intérieur de cette espèce, il est possible d’établir d’autres sous‑catégories mettant en évidence des caractéristiques considérées utiles. L’utilité de la classification dépend de l’usage qu’on en fait. Toutefois, du point de vue de la classification botanique, aucune distinction nette n’est faite entre les plantes [traduction] « fortement intoxicantes » et celles [traduction] « faiblement intoxicantes ». Pour reprendre l’explication fournie au procès, les diverses caractéristiques, par exemple la teneur en THC, sont élaborées simplement « par sélection »

[traduction] de la même manière qu’on améliore génétiquement des plantes ou des animaux pour obtenir une caractéristique quelconque — chevaux de course rapides, fruits sucrés, n’importe quelle caractéristique — on procède simplement par sélection, on cultive un grand nombre de sortes différentes, on vérifie s’il y a variation, on choisit les sujets qui possèdent les caractéristiques désirées et on continue la sélection parmi leur descendance.

47 À partir de sa collection de centaines de plants de cannabis venant de diverses régions du monde, le Dr Small a conclu que les plants qui poussent naturellement au nord du 30e degré de latitude ont tendance à être fibreux, faible en THC et en conséquence à être désignés comme étant une [traduction] « sous‑espèce faiblement intoxicante ». Les plants recueillis plus au sud possédaient une concentration plus élevée de THC et étaient moins utiles comme sources de fibre industrielle. Toutefois, le Dr Small, qui semble être à l’origine de cette valeur limite de 0,3 pour 100 de THC, a rejeté l’idée que ce point de référence convenait pour [traduction] « évaluer le préjudice potentiel pour la société ». Il a dit ceci en contre‑interrogatoire :

[traduction] . . . en soi, cette [valeur limite de 0,3 pour 100 de THC] n’était pas un critère suffisant pour évaluer le préjudice potentiel pour la société, il existe plusieurs autres considérations connexes essentielles.

. . .

. . . j’ai avisé divers intéressés que, dans le contexte de la culture de cannabis au Canada, le critère du 0,3 pour 100 est une référence raisonnable, mais qu’il existe d’autres considérations touchant à la question de savoir dans quelles circonstances les gens pourraient être autorisés ou non à cultiver du cannabis.

48 Le juge du procès n’a pas tiré de conclusion précise sur ce point, mais il a accepté de façon générale le témoignage de l’expert du ministère public, le Dr Harold Kalant, qui a témoigné qu’une concentration de 0,1 pour 100 de THC produirait un certain effet intoxicant après de nombreuses inhalations. Un témoin de la défense, le Dr J. P. Morgan, estimait quant à lui la concentration requise de THC à 0,5 pour 100. Toutefois, nous n’avons pas nous non plus à nous prononcer sur ce point.

49 La tentative de l’appelant d’« incorporer par interprétation » à la Loi une concentration limite de THC à partir de l’intention présumée du Parlement se heurte à de nombreux obstacles. Le plus important est l’impossibilité pratique de faire respecter une telle interdiction. Le Dr Small a indiqué dans son témoignage que les concentrations de THC varient [traduction] « de façon importante » selon les différentes parties du plant, selon la phase du cycle de vie du plant, selon la saison et même « légèrement » selon le moment de la journée. En outre, [traduction] « les concentrations de THC sont souvent non développées dans les souches de cannabis à forte teneur en THC lorsque les plants sont très jeunes ».

50 Le Dr Small a également témoigné que, malgré des dizaines d’années de travail sur le cannabis sativa, il était incapable de dire, selon l’apparence d’un jeune plant, s’il s’agissait d’un plant [traduction] « fortement intoxicant » ou « faiblement intoxicant » :

[traduction] Q. . . . Si quelqu’un vous apportait un plant de cannabis choisi au hasard, seriez‑vous capable, en votre qualité d’expert, de dire de façon assez certaine si ce plant choisi au hasard a une forte teneur en THC ou une faible teneur en THC?

R. Non.

51 L’appelant admet qu’[traduction] « il aurait été difficile, voire impossible de déterminer le potentiel d’intoxication des semis vendus par [lui], puisque le THC était encore en développement ». Il poursuit en affirmant qu’il est scientifiquement possible, au moyen d’une analyse chimique, de déterminer si un semis donné est de souche fibreuse ou intoxicante en mesurant le ratio entre sa concentration de THC et sa concentration de CBD (cannabidiol). Ce ratio reste le même pendant toute la durée de vie du plant. Cependant, interrogé sur la possibilité d’avoir recours à ce genre d’analyse, le Dr Small a répondu que la réalisation de telles analyses dans l’application courante de la Loi entraînerait dans la pratique des dépenses [traduction] « exorbitantes ». Sur le plan de l’interprétation des lois, il n’est pas raisonnable de prêter au Parlement l’intention d’établir un régime aussi difficile d’application et aussi peu favorable à la réalisation de son objectif global.

52 Comme l’a signalé le juge Rosenberg de la Cour d’appel, il est évident qu’un fondement rationnel étaye la décision du Parlement d’interdire tout cannabis sativa de manière à limiter efficacement les effets préjudiciables du cannabis psychoactif. La preuve ne permet pas de conclure que le fait « d’incorporer par interprétation » une concentration limitée de THC facilite la réalisation de l’objectif du Parlement plutôt que de le compromettre.

b) Le fondement juridique

53 L’argument juridique avancé par l’appelant est qu’il ne faut pas considérer que la Loi a pour effet d’interdire la possession de plants (ou d’autres substances) sans effets psychoactifs et utilisés exclusivement en tant que produits industriels. Cet argument ne repose pas sur un moyen d’inconstitutionnalité. L’appelant prétend simplement qu’il est [traduction] « déraisonnable de conclure que le Parlement entendait que la Loi sur les stupéfiants s’applique aux substances non intoxicantes » (en italique dans l’original).

54 Un « moyen de défense fondé sur la classification botanique » et invoquant la présumée intention du Parlement a été rejeté dans l’arrêt Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232. L’accusé avait plaidé que, dans le certificat d’analyse produit par la poursuite dans cette affaire, la substance litigieuse était décrite seulement par le mot cannabis et non par l’expression cannabis sativa. Comme il existait d’autres variétés connues de cannabis, les appelants soutenaient que la poursuite n’avait pas prouvé l’actus reus (l’élément matériel) de l’infraction. La Cour n’a pas retenu cet argument. Le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a fait remarquer qu’« [i]l ne serait tout simplement pas raisonnable de supposer qu’en employant l’expression “Cannabis sativa L.”, le législateur n’ait voulu interdire qu’une espèce [intoxicante] de marihuana et soustraire les autres espèces à la Loi » (p. 266 (nous soulignons)). Selon l’appelant, il est tout aussi raisonnable de supposer que le Parlement n’entendait pas interdire les souches de cannabis non intoxicantes.

55 L’argument que propose l’appelant en l’espèce est plus difficile à soutenir que celui avancé dans l’arrêt Perka. Dans cette affaire, notre Cour a donné une « interprétation extensive » de l’espèce cannabis sativa pour qu’elle corresponde à l’intention qu’avait le Parlement en édictant la Loi en 1961. En l’espèce, l’appelant doit démontrer que notre Cour ne devrait pas donner effet au texte de la Loi, mais plutôt donner une « interprétation atténuante » de l’expression cannabis sativa pour en exclure les variants non intoxicants de l’espèce inscrite à l’annexe. En d’autres termes, l’appelant tente d’imposer une sous‑catégorie que le Parlement n’a pas utilisée et dont l’application (d’après le témoignage du Dr Small) compromettrait la réalisation de l’objectif visé par le Parlement. En l’absence de contestation constitutionnelle fondée de la définition de cannabis sativa (contestation qui a été rejetée par la Cour d’appel de l’Ontario et ne nous a pas été soumise), nous ne pouvons pas faire ce que demande l’appelant. Comme l’a récemment confirmé notre Cour, au par. 26 de l’arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42, le point de départ de l’interprétation d’un texte de loi est l’examen de ses termes, « l[us] [. . .] dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (voir l’ouvrage Construction of Statutes de Driedger (2e éd. 1983), p. 87).

56 En l’espèce, il n’existe aucune ambiguïté. À l’article 2 de la Loi, le mot stupéfiant est défini ainsi : « Substance énumérée à l’annexe ». Le texte de loi ne donne pas de définition scientifique du terme « stupéfiant ». Il s’agit d’une définition législative. L’article 3 de l’annexe de la Loi énumère les substances suivantes : (1) Résine de cannabis, (2) Cannabis (marihuana), (3) Cannabidiol, (4) Cannabinol, (4.1) Nabilone, (5) Pyrahexyl, (6) Tétrahydrocannabinol. La substance suivante est exclue de la définition : (7) Graine de cannabis stérile. Cette définition ne présente aucune ambiguïté. La Loi n’exige pas la présence de THC dans une substance pour que celle‑ci soit classée comme stupéfiant interdit. Voir également R. c. Dunn, [1982] 2 R.C.S. 677, p. 683.

57 Pour tenter de renforcer son argument, l’appelant invoque la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 des Nations Unies, R.T. Can. 1964 no 30, laquelle dispose, au par. 28(2) (Contrôle du cannabis) :

La présente Convention ne s’appliquera pas à la culture de la plante de cannabis exclusivement à des fins industrielles (fibres et graines) ou pour des buts horticulturaux.

58 Cet élément ne lui est d’aucun secours. La Convention ne préconise pas la liberté de cultiver la marihuana, mais précise simplement qu’elle ne s’applique pas à la culture du cannabis pratiquée exclusivement à des fins industrielles ou horticoles, fins qui ne sont ni l’une ni l’autre pertinentes à l’égard des accusations portées contre l’appelant.

VI. Le dispositif

(58a) Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi.

59 Les questions constitutionnelles formulées par la Juge en chef doivent recevoir les réponses suivantes :

1. Est‑ce que l’interdiction d’avoir en sa possession du Chanvre indien (cannabis sativa) aux fins de consommation personnelle — interdiction prévue au par. 3(1) de la Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, ch. N‑1, du fait de la mention de cette substance à l’art. 3 de l’annexe de cette loi (maintenant l’art. 1 de l’annexe II de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances , L.C. 1996, ch. 19 ) — porte atteinte à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés ?

R. Non.

2. Si la réponse à la question 1 est affirmative, l’atteinte est‑elle justifiée au regard de l’article premier de la Charte ?

R. Il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.

3. Est‑ce que l’interdiction d’avoir en sa possession du Chanvre indien (cannabis sativa) aux fins de consommation personnelle — interdiction prévue au par. 3(1) de la Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, ch. N‑1, du fait de la mention de cette substance à l’art. 3 de l’annexe de cette loi (maintenant l’art. 1 de l’annexe II de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances , L.C. 1996, ch. 19 ) — relève de la compétence législative du Parlement du Canada en tant que règle de droit édictée soit en vertu de l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 pour assurer la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada, soit en vertu du pouvoir de légiférer sur le droit criminel prévu au par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 , soit en vertu d’un autre pouvoir?

R. Oui.

Version française des motifs rendus par

60 La juge Arbour (dissidente en partie) — Pour les motifs que j’ai exposés dans les arrêts connexes R. c. Malmo-Levine; R. c. Caine, [2003] 3 R.C.S. 571, 2003 CSC 74, rendus simultanément, j’accueillerais le pourvoi de l’appelant Clay, mais seulement à l’égard de l’accusation de possession de cannabis sativa.

Version française des motifs rendus par

61 Le juge LeBel (dissident en partie) — Sous réserve des commentaires que j’ai formulés dans les arrêts R. c. Malmo‑Levine; R. c. Caine, [2003] 3 R.C.S. 571, 2003 CSC 74, je souscris au dispositif proposé par la juge Arbour dans le présent pourvoi.

Les motifs suivants ont été rendus par

62 La juge Deschamps (dissidente en partie) — Sous réserve de mes motifs dans les affaires R. c. Malmo‑Levine; R. c. Caine, [2003] 3 R.C.S. 571, 2003 CSC 74, je suis en accord avec le dispositif suggéré par la juge Arbour en l’espèce.

Pourvoi rejeté, les juges Arbour, LeBel et Deschamps sont dissidents en partie.

Procureurs de l’appelant : Burstein, Unger, Toronto

Procureur de l’intimée : Procureur général du Canada, Toronto.

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

Procureurs de l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association : Arvay Finlay, Victoria.

Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Paliare, Roland, Rosenberg, Rothstein, Toronto.

Commentaires

Jugements de la Cour suprême R. c. Malmo-Levine; R. c. Caine

Droit constitutionnel — Charte des droits — Justice fondamentale — Liberté et sécurité de la personne — Dispositions de la Loi sur les stupéfiants interdisant la possession de marihuana — Possibilité d’emprisonnement en cas de déclaration de culpabilité pour simple possession — Cette interdiction porte-t-elle atteinte à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés ? — Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, ch. N-1, art. 3(1), annexe.

L’interdiction criminelle a eu des effets négatifs sur au moins 600 000 Canadiens

Le fait d’envoyer des personnes vulnérables en prison pour les protéger contre elles‑mêmes ne respecte pas le principe du préjudice en tant que principe de justice fondamentale. De même, le fait que certaines personnes vulnérables puissent se faire du tort en consommant de la marihuana n’est pas une raison suffisante pour emprisonner d’autres personnes se livrant à cette activité. L’État ne peut pas, en les menaçant d’emprisonnement, empêcher tous les justiciables d’adopter un comportement qui ne leur est pas préjudiciable, pour le motif que d’autres personnes plus vulnérables pourraient se faire du tort si elles adoptaient ce comportement, particulièrement si on reconnaît que l’emprisonnement ne serait pas une mesure appropriée pour les groupes vulnérables visés.

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Jugements de la Cour suprême R. c. Malmo-Levine; R. c. Caine
https://decisions.scc-csc.ca/scc-csc/scc-csc/fr/item/2109/index.do

Jugements de la Cour suprême
R. c. Malmo-Levine; R. c. Caine
Collection Jugements de la Cour suprême
Date 2003-12-23
Référence neutre 2003 CSC 74
Recueil [2003] 3 RCS 571
Numéro de dossier 28026, 28148
Juges McLachlin, Beverley; Gonthier, Charles Doherty; Iacobucci, Frank; Major, John C.; Bastarache, Michel; Binnie, William Ian Corneil; Arbour, Louise; LeBel, Louis; Deschamps, Marie
En appel de Colombie-Britannique
Sujets Droit constitutionnel
Notes Renseignements sur les dossiers de la Cour : 28026, 28148
R. c. Malmo‑Levine; R. c. Caine, [2003] 3 R.C.S. 571, 2003 CSC 74

David Malmo‑Levine Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Procureur général de l’Ontario, British Columbia Civil Liberties

Association et Association canadienne des libertés civiles Intervenants

et entre

Victor Eugene Caine Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Procureur général de l’Ontario, British Columbia Civil Liberties

Association et Association canadienne des libertés civiles Intervenants

Répertorié : R. c. Malmo‑Levine; R. c. Caine

Référence neutre : 2003 CSC 74.

Nos du greffe : 28026, 28148.

2003 : 6 mai; 2003 : 23 décembre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour, LeBel et Deschamps.

en appel de la cour d’appel de la colombie-britannique

Droit constitutionnel — Charte des droits — Justice fondamentale — Liberté et sécurité de la personne — Dispositions de la Loi sur les stupéfiants interdisant la possession de marihuana — Possibilité d’emprisonnement en cas de déclaration de culpabilité pour simple possession — Cette interdiction porte-t-elle atteinte à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés ? — Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, ch. N-1, art. 3(1), annexe.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l’égalité — Dispositions de la Loi sur les stupéfiants interdisant la possession de marihuana en vue d’en faire le trafic — Cette interdiction porte-t-elle atteinte à l’art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés ? — Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, ch. N-1, art. 4(2), annexe.

Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Droit criminel — Dispositions de la Loi sur les stupéfiants interdisant la possession de marihuana — Cette interdiction relève-t-elle du pouvoir de légiférer du Parlement? — Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(27) .

Lors d’une patrouille de routine, deux agents de la GRC ont vu C et un passager dans une fourgonnette stationnée à proximité de l’océan. Lorsqu’ils se sont approchés, C, qui était au volant, a mis le contact et commencé à faire marche arrière. Longeant le véhicule, l’un des policiers a senti une forte odeur de marihuana récemment fumée. C a remis au policier un joint partiellement fumé pesant 0,5 gramme. Il l’avait en sa possession pour consommation personnelle et rien d’autre. L’ancienne Loi sur les stupéfiants dispose, au par. 3(1), que « [s]auf exception prévue par la présente loi ou ses règlements, il est interdit d’avoir un stupéfiant en sa possession ». Les substances considérées comme des stupéfiants sont énumérées aux annexes de la Loi. La marihuana y figure. Le délinquant est passible, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, pour une première infraction, d’une amende maximale de 1 000 $ et d’un emprisonnement maximal de six mois, ou de l’une de ces peines, et, en cas de récidive, d’une amende maximale de 2 000 $ et d’un emprisonnement maximal d’un an, ou de l’une de ces peines. Au procès, la juge a rejeté la demande de C qui sollicitait un jugement déclarant inconstitutionnelles les dispositions de la Loi sur les stupéfiants interdisant la possession de marihuana. Il a été déclaré coupable de simple possession. La Cour d’appel, à la majorité, a confirmé la déclaration de culpabilité.

M, qui se décrit lui‑même comme un « défenseur de la liberté et de la consommation de la marihuana », participe à l’exploitation d’une association coopérative sans but lucratif connue sous le nom de « Harm Reduction Club », qui reconnaît l’existence de certains risques associés à l’usage de la marihuana et cherche à les réduire. En décembre 1996, la police a visité les locaux du club et saisi plus de 300 grammes de marihuana, essentiellement sous forme de « joints ». M a été accusé de possession de marihuana en vue d’en faire le trafic en vertu du par. 4(2) de l’ancienne Loi sur les stupéfiants. Au procès, M a voulu présenter certains éléments de preuve au soutien de son argument d’inconstitutionnalité, mais le juge du procès a refusé d’admettre ces éléments et a rejeté l’argument. M a été déclaré coupable et, en appel, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont confirmé la déclaration de culpabilité.

Arrêt (les juges Arbour, LeBel et Deschamps sont dissidents dans le pourvoi de C) : Les pourvois sont rejetés.

La juge en chef McLachlin et les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie : Toutes les parties s’accordent pour dire que la marihuana est une drogue psychoactive qui « agit sur les fonctions mentales ». C’est d’ailleurs pour cela que les accusés en consomment. Les conclusions des juridictions inférieures concordent quant à l’existence d’un « préjudice » qui n’est ni insignifiant ni négligeable. Certains groupes de la société sont particulièrement vulnérables aux effets de la marihuana. Bien que les membres de ces groupes ne puissent généralement pas être distingués à l’avance des autres consommateurs et représentent un pourcentage relativement minime de l’ensemble des consommateurs de marihuana, leur nombre est toutefois non négligeable en chiffres absolus. Dans l’affaire C, le juge du procès a évalué à environ 50 000 le nombre de « consommateurs chroniques ». Les femmes enceintes et les schizophrènes seraient également particulièrement à risque. Favoriser la protection de ces personnes et d’autres personnes vulnérables est une décision de politique générale qui relève du large pouvoir de légiférer dont dispose le Parlement. Il est également loisible à celui-ci de décriminaliser ou de modifier de quelque autre façon tout aspect des dispositions régissant la marihuana, s’il ne considère plus que les mesures en question constituent une bonne politique d’intérêt général.

La question que la Cour doit trancher est une pure question de droit, et non une question de politique générale : l’interdiction, y compris la possibilité d’emprisonnement qu’entraîne l’infraction de simple possession, est-elle une disposition législative valide, soit parce qu’elle déborde la compétence législative du Parlement, soit parce que l’interdiction et plus particulièrement la peine d’emprisonnement dont elle est assortie portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Charte canadienne des droits et libertés ?

La réglementation d’une drogue psychoactive qui agit sur les fonctions mentales soulève manifestement des questions de santé et de sécurité publiques, tant en ce qui concerne le consommateur lui-même que les personnes dans la société qui sont touchées par son comportement. La consommation de marihuana peut donc à juste titre faire l’objet de mesures édictées en vertu de la compétence relative au droit criminel. La compétence du fédéral en matière criminel comporte la plénitude des pouvoirs à cet égard et a été interprétée de manière généreuse. Pour qu’une loi puisse être considérée comme relevant du droit criminel, elle doit comporter un objet valide de droit criminel assorti d’une interdiction et d’une sanction. Le droit criminel englobe les lois favorisant la paix, la sécurité, l’ordre ou la santé publics et tout autre objectif public légitime. L’objectif de la Loi sur les stupéfiants correspond au chef de compétence relatif au droit criminel, lequel vise notamment la protection des groupes vulnérables. La conclusion selon laquelle l’interdiction actuelle visant la consommation de la marihuana peut s’appuyer sur la compétence en matière de droit criminel rend inutile l’examen de la question de savoir si l’interdiction peut s’appuyer sur le pouvoir résiduel de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement.

La possibilité d’emprisonnement pour simple possession de marihuana suffit pour justifier un examen fondé sur l’art. 7 de la Charte . Toutefois, la décision de M de centrer son mode de vie sur la consommation récréative de marihuana ne bénéficie pas de la protection de la Charte .

Pour qu’une règle ou un principe constitue un principe de justice fondamentale au sens de l’art. 7, il doit s’agir d’un principe juridique à l’égard duquel il existe un consensus substantiel dans la société sur le fait qu’il est essentiel au bon fonctionnement du système de justice, et ce principe doit être défini avec suffisamment de précision pour constituer une norme permettant d’évaluer l’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne.

Dans la définition des principes de justice fondamentale, il faut nécessairement prendre en considération la nature sociale de notre existence collective. Ce n’est que dans cette mesure que les valeurs sociétales jouent un rôle dans la détermination de la portée des droits et des principes en question. Cependant, la pondération des droits individuels et des intérêts sociétaux dans l’analyse fondée sur l’art. 7 n’est pertinente que pour préciser un principe de justice fondamentale en particulier. Une fois précisé le principe de justice fondamentale en cause, la prise en compte d’intérêts sociétaux tels les coûts des soins de santé ne fait plus partie de l’analyse fondée sur l’art. 7. Ces considérations seront examinées, si tant est qu’elles le sont, dans l’application de l’article premier.

Même si le « principe du préjudice » invoqué par les accusés pouvait être qualifié de principe juridique, il ne satisferait pas aux autres conditions. Tout d’abord, il n’existe pas un consensus sur le caractère primordial ou fondamental de ce principe dans la notion de justice pénale au sein de notre société. Bien que l’existence d’un préjudice causé à autrui puisse justifier le Parlement de légiférer en vertu de sa compétence en matière de droit criminel, l’absence de preuve de l’existence d’un préjudice ne constitue pas, au regard de l’art. 7, un obstacle absolu à l’adoption d’une mesure législative. Il n’y a pas non plus consensus quant à l’importance déterminante de la distinction entre le préjudice à autrui et le préjudice à soi-même. Finalement, le principe du préjudice ne constitue pas une norme fonctionnelle permettant d’évaluer l’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne.

Bien que le « principe du préjudice » ne soit pas un principe de justice fondamentale, il n’en demeure pas moins que l’intérêt qu’a l’État à prévenir les préjudices aux personnes assujetties à ses lois peut le justifier de légiférer. Le législateur peut imposer une interdiction sans être tenu de convaincre les tribunaux de l’existence d’un préjudice « grave et important ». Une fois qu’il est prouvé, comme en l’espèce, que le préjudice n’est pas minime ou qu’il n’est pas « ni insignifiant ni négligeable », l’appréciation et la détermination exactes de la nature et de l’étendue du préjudice relève du Parlement.

Une disposition de droit criminel qui est jugée arbitraire ou irrationnelle porte atteinte à l’art. 7. Cependant, au vu de l’intérêt de l’État à prévenir les préjudices à ses citoyens, l’interdiction frappant la possession de marihuana n’est ni arbitraire ni irrationnelle. La marihuana est une drogue psychoactive dont « la consommation agit sur les fonctions mentales », selon le juge qui a présidé le procès de C. Cette action crée un risque pour autrui lorsque le consommateur conduit un véhicule à moteur, pilote un avion ou exerce d’autres activités exigeant de faire fonctionner un appareil complexe. Les consommateurs chroniques peuvent éprouver de « graves » problèmes de santé. Les groupes vulnérables sont particulièrement à risque, notamment les adolescents qui ont déjà des résultats scolaires médiocres, les femmes enceintes et les personnes qui souffrent d’affections préexistantes comme des maladies cardiovasculaires, des troubles respiratoires, la schizophrénie ou d’autres toxicomanies. Ces conclusions de fait révèlent l’existence que l’État a un intérêt suffisant pour justifier la mesure législative si le Parlement juge opportun de la maintenir, pourvu qu’elle respecte la norme constitutionnelle de la disproportion exagérée. Il est vrai que le législateur s’est attaqué directement à certains comportements susceptibles d’être préjudiciables en créant d’autres infractions dans le Code criminel . Le recours à une mesure législative donnée pour prévenir un préjudice n’exclut pas logiquement le recours à d’autres mesures du genre, sous réserve toujours du respect du critère de la disproportion exagérée. En outre, la décision du Parlement d’intervenir dans un domaine intéressant la santé et la sécurité publiques (la consommation d’alcool et de tabac par exemple) et pasdans un autre n’est pas, de ce seul fait, arbitraire ou irrationnelle.

La question de la sanction doit être examinée au regard de l’art. 12 de la Charte (qui protège chacun contre « tous traitements ou peines cruels et inusités ») et, dans de tels cas, la norme constitutionnelle applicable est celle de la disproportion exagérée. L’absence de peine minimale obligatoire et l’existence de principes de détermination de la peine bien établis signifient que la possibilité d’emprisonnement pour une infraction liée à la marihuana ne saurait à elle seule constituer une mesure disproportionnément exagérée.

Le fait de conclure qu’une peine donnée viole l’art. 12 de la Charte peut exiger une réparation constitutionnelle liée à la peine sans pour autant remettre en cause la criminalisation du comportement, lequel peut encore, constitutionnellement, être punissable par un autre type de peine.

Le concept clé en l’espèce est le recours à l’incarcération, et non la possibilité d’incarcération. La possession de marihuana n’expose le délinquant à aucune peine minimale. Dans la plupart des affaires de possession, le délinquant (qu’il s’agisse ou non d’une personne vulnérable) fait l’objet d’une absolution ou d’une peine d’emprisonnement avec sursis. Cela se produit particulièrement lorsqu’il est question d’une petite quantité de marihuana à des fins récréatives, auquel cas l’absolution sous condition est la peine habituellement infligée. Il n’y a dans la loi aucun obstacle empêchant le juge du procès d’infliger une peine appropriée à la personne déclarée coupable de simple possession de marihuana.

La « possibilité » d’emprisonnement pour possession d’une drogue figurant à l’annexe de la Loi sur les stupéfiants fait partie intégrante du cadre législatif applicable aux drogues en général et non pas seulement à la marihuana en particulier. L’examen de la jurisprudence révèle que ce n’est que lorsqu’il y avait des circonstances aggravantes, circonstances peu susceptibles d’être présentes dans le cas des « personnes vulnérables », que le tribunal a estimé, dans l’affaire dont il était saisi, qu’une peine d’emprisonnement constituait une peine appropriée à l’égard de l’infraction de simple possession de marihuana. Point n’est besoin d’invoquer la Charte pour obtenir réparation à l’encontre d’une peine inappropriée. Lorsque, dans un cas donné, une peine d’emprisonnement n’est pas indiquée, elle ne sera pas infligée et, si elle l’est, elle sera annulée en appel.

Les effets sur les accusés de l’interdiction visant la possession de la marihuana ne sont pas si exagérément disproportionnés qu’ils rendent cette interdiction contraire à l’art. 7 de la Charte . Les conséquences dont se plaignent les accusés sont en grande partie le fruit d’une désobéissance délibérée à la loi du pays. Si le tribunal inflige à la personne déclarée coupable une peine qui n’est rien d’autre qu’appropriée, ce qu’il est tenu de faire, les autres conséquences préjudiciables sont en fait liées au système de justice pénale en général et non à cette infraction en particulier. Dans tout système de droit pénal, il arrive qu’une poursuite se révèle non fondée, que la publicité qui l’entoure soit injustement préjudiciable, qu’une défense fructueuse occasionne des frais, qu’une déclaration de culpabilité pour une infraction relativement mineure ait des conséquences persistantes et peut‑être injustes dans d’autres ressorts, et ainsi de suite. Il s’agit de conséquences graves, mais elles font partie des coûts sociaux et personnels qu’entraîne le fait de posséder un système de justice pénale. Chaque fois que le Parlement exerce sa compétence en matière de droit criminel, de tels coûts en résultent. Prétendre que ces coûts « intrinsèques » invalident l’exercice de cette compétence a pour effet d’exagérer le rôle de l’art. 7.

Si l’on applique la norme de la disproportion exagérée, les effets sur les accusés des dispositions actuelles, y compris la possibilité d’emprisonnement, n’excèdent pas la vaste latitude que la Constitution accorde au législateur.

La prétendue « inefficacité » de l’interdiction frappant la possession de marihuana est simplement une autre façon de désigner le refus des gens d’observer la loi. L’on ne saurait, en invoquant les principes de justice fondamentale, faire de ce refus un argument d’inconstitutionnalité. En outre, la pondération des effets bénéfiques et des effets préjudiciables de la loi est une démarche qui relève davantage de l’application de l’article premier. Comme les accusés n’ont pas établi l’existence d’une atteinte aux droits garantis par l’art. 7, il n’est pas nécessaire de demander à l’État de procéder à la justification requise par l’article premier.

L’argument de M fondé sur le droit à l’égalité ne saurait être retenu. L’interdiction d’avoir en sa possession de la marihuana en vue d’en faire le trafic ne porte pas atteinte au par. 15(1) de la Charte . Le goût pour la marihuana ne constitue pas une « caractéristique personnelle » entraînant l’application de la garantie prévue à l’art. 15, mais un choix de mode de vie qui n’est en rien analogue aux caractéristiques personnelles énumérées à cet article.

Dans les circonstances propres au pourvoi de M, le juge du procès a fait erreur en refusant d’admettre la preuve d’expert concernant les faits législatifs et constitutionnels que voulait présenter M et qui était pertinente dans le cadre de sa contestation fondée sur la Charte . Même si le juge du procès n’était manifestement pas impressionné par ce que M souhaitait établir, dans les circonstances, il aurait dû malgré ses réserves admettre cette preuve afin de permettre à ce dernier de constituer un dossier complet en prévision d’un éventuel appel. Le fait que les parties aient convenu de considérer que la preuve relative aux faits législatifs présentée par C s’appliquait également dans l’appel de M a toutefois permis d’éviter les complications auxquelles l’audition de l’appel aurait autrement donné lieu. En conséquence, l’erreur du juge du procès n’a pas causé préjudice à M.

La juge Arbour (dissidente dans le pourvoi de C) : Les dispositions contestées relèvent du chef de compétence concernant le droit criminel. Si la loi vise un mal légitime pour la santé publique, comporte une interdiction assortie d’une sanction pénale et ne constitue pas par ailleurs un empiétement « déguisé » sur un chef de compétence provinciale, le Parlement possède, en vertu du par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 , le pouvoir discrétionnaire de déterminer l’étendue du préjudice qu’il juge suffisant pour justifier une mesure législative. Toutefois, lorsque le Parlement invoque la protection de la santé comme objectif public légitime, il doit démontrer l’effet nuisible ou indésirable contre lequel il souhaite protéger la population. Bien que la Constitution n’ait pas pour effet de requérir la preuve d’un préjudice minimal avant que le Parlement puisse utiliser son vaste pouvoir législatif en matière de droit criminel, un comportement ne présentant que peu ou pas de risques de préjudice est peu susceptible d’être considéré comme un mal pour la santé publique.

Une loi menaçant d’emprisonnement une personne dont le comportement ne crée que peu ou pas de risques véritables de préjudice pour d’autres personnes viole les principes de justice fondamentale et elle porte atteinte au droit à la liberté garanti par l’art. 7 de la Charte . Que l’emprisonnement soit utilisé comme sanction d’un crime ou d’une autre prohibition, la Constitution requiert au minimum que cette peine soit réservée aux individus dont le comportement crée un véritable risque de préjudice pour autrui. Dans le cas d’un comportement attentatoire, l’imputation de la faute est relativement simple en raison des liens étroits qui existent entre le comportement coupable et le préjudice en résultant pour la victime. Il n’est pas facile de quantifier le préjudice causé à des intérêts collectifs par opposition à celui causé à des personnes identifiables, et il est encore moins facile d’imputer la responsabilité de ce préjudice à une activité ou à un acteur reconnaissable. Pour déterminer si le comportement en question, qui ne cause peut-être qu’un préjudice direct à son auteur ou semble plutôt bénin, ne cause que peu ou pas de risques de préjudice pour d’autres personnes, les tribunaux doivent évaluer l’intérêt qu’a la société à interdire ce comportement et à le punir. Les « intérêts sociétaux » peuvent effectivement faire partie de l’analyse fondée sur l’art. 7 lorsque le principe de justice fondamentale pertinent fait intervenir des préoccupations telle la protection de la société. L’appréciation de l’intérêt qu’a la société à interdire un comportement consiste à soupeser, d’une part, les effets préjudiciables qu’aurait pour celle‑ci le fait de ne pas interdire par voie législative le comportement en cause et, d’autre part, les effets qui découleraient de la prohibition de celui-ci. Le préjudice ou risque de préjudice que crée pour la société le comportement prohibé doit être plus grand que tout préjudice susceptible de résulter des mesures visant à le prévenir.

Le préjudice lié à la consommation de marihuana ne justifie pas la décision de l’État d’avoir recours à l’emprisonnement pour faire respecter l’interdiction visant la possession de cette substance. Exception faite des risques que comporte l’usage de la marihuana lorsque le consommateur conduit un véhicule à moteur, pilote un avion ou fait fonctionner un appareil complexe et des répercussions de l’usage de cette substance sur les systèmes de soins de santé et d’aide sociale, les effets néfastes de la consommation de marihuana présentent exclusivement des risques pour la santé du consommateur, risques qui vont de quasi inexistants pour les personnes qui n’en font qu’une consommation faible, occasionnelle ou modérée à relativement élevés pour les consommateurs chroniques. Le préjudice qu’une personne se cause à elle‑même ne satisfait pas à l’exigence constitutionnelle selon laquelle, dans tous les cas où l’État a recours à l’emprisonnement, l’existence d’un préjudice minimal à autrui est un des éléments essentiels de l’infraction.

Selon la majorité, les membres de groupes vulnérables déclarés coupables de possession de marihuana ne risquent pas sérieusement l’emprisonnement, puisque ce n’est qu’en « présence de circonstances aggravantes » que l’emprisonnement constitue une peine appropriée. Cette affirmation n’étaye pas leur position, mais fait plutôt ressortir la principale difficulté que soulève la situation. Si on applique le raisonnement des juges majoritaires, c’est sur les délinquants qui ne font pas partie de groupes vulnérables — c’est-à-dire les personnes qui créent tout au plus un risque négligeable de préjudice pour eux-mêmes et pour autrui — que pèsera la menace d’emprisonnement à cause de la présence de « circonstances aggravantes ». L’argument selon lequel il est préférable d’examiner au regard de l’art. 12 plutôt que de l’art. 7 la justesse des peines infligées pour la simple possession de marihuana va à l’encontre de l’idée que les art. 8 à 14 de la Charte sont des exemples précis de principes de justice fondamentale. Dans les cas où l’on invoque un principe de justice fondamentale non mentionné expressément aux art. 8 à 12, il faut procéder à l’analyse fondée sur l’art. 7.

Le fait d’envoyer des personnes vulnérables en prison pour les protéger contre elles‑mêmes ne respecte pas le principe du préjudice en tant que principe de justice fondamentale. De même, le fait que certaines personnes vulnérables puissent se faire du tort en consommant de la marihuana n’est pas une raison suffisante pour emprisonner d’autres personnes se livrant à cette activité. L’État ne peut pas, en les menaçant d’emprisonnement, empêcher tous les justiciables d’adopter un comportement qui ne leur est pas préjudiciable, pour le motif que d’autres personnes plus vulnérables pourraient se faire du tort si elles adoptaient ce comportement, particulièrement si on reconnaît que l’emprisonnement ne serait pas une mesure appropriée pour les groupes vulnérables visés.

Les deux risques pour autrui dont l’existence a été constatée par les juges de première instance ne suffisent pas pour justifier l’application de la peine la plus sévère prévue par la loi, sanction qui est généralement considérée comme une solution de dernier recours. Tout d’abord, bien que le risque que des personnes ressentant les effets aigus de la drogue puissent être moins aptes à conduire un véhicule à moteur, à piloter un avion ou à exercer d’autres activités exigeant de faire fonctionner un appareil complexe soit effectivement une préoccupation valide, le fait de conduire sous l’effet de l’alcool ou de drogues constitue toutefois une activité distincte du simple fait de posséder et consommer une telle substance. La conduite dangereuse fait déjà l’objet de dispositions dans le Code criminel , à juste titre d’ailleurs, parce que c’est cet acte qui risque de causer préjudice à d’autres personnes identifiables ainsi qu’à l’ensemble de la société. Le deuxième effet préjudiciable à l’ensemble de la société dont l’existence a été constatée, c’est-à-dire le préjudice général aux systèmes de soins de santé et d’aide sociale, est tout simplement trop éloigné et trop mineur pour justifier de punir par l’emprisonnement la simple possession de marihuana. Les Canadiens ne s’attendent pas à aboutir en prison chaque fois qu’ils adoptent un comportement susceptible de leur être préjudiciable. Aucune raison ne justifie de réserver un traitement particulier aux personnes qui peuvent mettre leur santé en péril en fumant de la marihuana. S’il subsiste encore des doutes quant à la question de savoir si les préjudices liés à la consommation de marihuana justifiaient le recours par l’État à l’emprisonnement comme sanction applicable en cas de possession de cette substance, ils disparaissent lorsque l’on jette dans la balance les effets préjudiciables de l’interdiction. Il ressort du dossier et des constatations des juges de première instance que l’interdiction de la simple possession de marihuana vise à empêcher un faible préjudice pour la société, mais qu’elle le fait à un coût très élevé. Un fardeau négligeable pour les systèmes de soins de santé et d’aide sociale, conjugué aux nombreux effets négatifs importants de l’interdiction, crée davantage qu’un faible risque véritable de préjudice pour la société.

La majorité a conclu que l’interdiction frappant la possession aux fins de trafic que prévoit le par. 4(2) de la Loi sur les stupéfiants n’établit pas à l’égard de M de discrimination prohibée par l’art. 15 de la Charte , étant donné que la décision d’avoir de la marihuana en sa possession et d’en faire le trafic n’est pas une caractéristique personnelle immuable, et que le fait de traiter différemment les personnes qui choisissent d’agir ainsi ne porte d’aucune façon atteinte à la dignité humaine ni ne renforce des stéréotypes préjudiciables ou des désavantages historiques. À la lumière du dossier, l’argument de M selon lequel l’interdiction visant la possession aux fins de trafic est inconstitutionnelle au regard de l’art. 7 est rejeté.

Le ministère public n’a pas présenté d’observations au sujet de l’article premier de la Charte et aucune des juridictions inférieures n’a examiné cette question. Comme il incombait au ministère public d’établir que l’atteinte est justifiée au regard de l’article premier, il ne s’est pas acquitté de ce fardeau.

Le juge LeBel (dissident dans le pourvoi de C) : Il y a accord avec l’opinion de la majorité selon laquelle on ne devrait pas élever le principe du préjudice au rang des principes de justice fondamentale visés à l’art. 7 de la Charte . Toutefois, comme des droits fondamentaux sont en jeu et qu’ils ont été violés, notre Cour doit intervenir dans le cadre de l’obligation qui lui incombe, en vertu de la Constitution, de faire respecter les principes fondamentaux de notre ordre constitutionnel. À la lumière de la preuve présentée, dans sa forme actuelle la loi apporte effectivement une solution arbitraire à certains problèmes sociaux. Le ministère public n’a pas été en mesure de bien définir les préoccupations sociales et les droits individuels qui sont en jeu, plus particulièrement le droit à la liberté que soulève le présent pourvoi. Il y a atteinte lorsque la mesure législative édictée pour répondre à un problème social peut avoir une portée à ce point excessive qu’elle en devient arbitraire. La mesure législative en cause présente une portée excessive. Bien qu’il soit indéniable que la marihuana peut causer à certaines personnes ou à certains groupes des problèmes de nature et de gravité variables, le préjudice susceptible d’être causé par la consommation de cette substance paraît assez peu important compte tenu de la preuve qui a été présentée. À l’opposé, le préjudice et les problèmes associés à la forme de criminalisation retenue par le législateur paraissent clairs et importants. Il semble que peu de gens soient emprisonnés pour simple possession de marihuana, mais il n’en reste pas moins que la loi continue de prévoir cette possibilité. La réticence des tribunaux à infliger cette peine et à emprisonner effectivement une personne déclarée coupable de simple possession semble confirmer la perception selon laquelle la loi, dans sa forme actuelle, constitue en quelque sorte une réaction législative démesurée aux problèmes que fait craindre la consommation de marihuana. De plus, non seulement la loi permet-elle l’emprisonnement, mais son application signifie que des centaines de milliers de Canadiens sont aux prises avec les stigmates qu’entraînent des antécédents judiciaires. L’adoption et l’application d’une mesure législative qui est disproportionnée aux problèmes sociétaux visés et de ce fait arbitraire porte atteinte au droit fondamental à la liberté, contrevenant ainsi à l’art. 7 de la Charte .

La juge Deschamps (dissidente dans le pourvoi de C) : Que ce soit en vertu de son pouvoir de légiférer pour assurer la paix, l’ordre et le bon gouvernement ou de sa compétence en matière de droit criminel, la prohibition de la possession de drogues relève de la compétence du législateur fédéral.

Le « principe du préjudice » ne peut valablement être qualifié de principe de justice fondamentale au sens de l’art. 7 de la Charte . Le droit criminel trouve sa justification dans la protection de la société, vue tant dans son ensemble que dans ses composantes. En ce sens, s’il est certain que l’État est justifié d’intervenir en utilisant les outils du droit criminel pour prévenir le dommage à autrui, le « principe du préjudice » est trop étroit pour réunir tous les éléments qui peuvent limiter l’action de l’État en droit criminel.

L’inclusion du cannabis dans l’annexe de la Loi sur les stupéfiants viole le droit à la liberté des accusés sans égards pour les principes de justice fondamentale. Avant de pouvoir justifier la limitation de la liberté d’un individu, l’État doit se fonder sur une loi qui n’est pas arbitraire. Or, en l’espèce, la loi est arbitraire. Premièrement, il y a lieu de douter de la pertinence de classer l’usage de la marihuana comme conduite donnant ouverture à un recours légitime au droit criminel sous le régime de la Charte puisque, dans l’ensemble, sauf les risques liés à la conduite de véhicules et à l’impact sur les régimes publics de soin et d’aide, l’usage modéré de la marihuana s’avère inoffensif. Deuxièmement, vu la disponibilité de moyens mieux adaptés, le choix du droit criminel pour réprimer une conduite qui ne cause que peu de préjudice aux utilisateurs modérés ou pour encadrer des groupes à risque pour lesquels l’effet dissuasif ou correctif est plus que douteux n’est pas à la hauteur des normes de justice de la société canadienne. Troisièmement, les dommages causés par la prohibition sont foncièrement disproportionnés par rapport au problème que l’État cherche à enrayer. Ces dommages dépassent de loin les bienfaits de la prohibition.

Comme le ministère public n’a pas tenté de justifier la prohibition en vertu de l’article premier de la Charte , il ne s’est pas acquitté de son fardeau.

Jurisprudence

Citée par les juges Gonthier et Binnie

Arrêts mentionnés : Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086; R. c. Find, [2001] 1 R.C.S. 863, 2001 CSC 32; Public School Boards’ Assn. of Alberta c. Alberta (Procureur général), [2000] 1 R.C.S. 44, 2000 CSC 2; R. c. Forbes (1937), 69 C.C.C. 140; R. c. Clay, [2003] 3 R.C.S. 735, 2003 CSC 75; R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S.

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