Vive le cannabis libre !

Un des jardins de la nation

Zone Campus, 24 septembre 2015
Par Jean-François Veilleux -

À l’automne 2012, j’avais écrit dans ces pages trois chroniques sur la marijuana (les bienfaits, la censure, la légalisation). Depuis, plusieurs États américains et quelques pays sud-américains, comme l’Uruguay, ont reconsidéré la chose en légalisant cette herbe encore très taboue au Canada. Pour mieux comprendre les enjeux, j’ai eu un entretien avec Hugô St-Onge, chef du Bloc Pot.

Q : Bonjour Hugô! D’abord, peux-tu nous résumer brièvement les origines de ton parti politique provincial, vos objectifs principaux ainsi que vos engagements électoraux ?

R : Le Bloc Pot a été fondé en mars 1998, né de la défunte Ligue anti-prohibitionniste du Québec. L’objectif était de porter le débat dans l’arène politique, car, en dernière analyse, c’est le politique qui a mis en place la prohibition et qui l’a maintenue depuis 1923.

La forme du parti politique aura donné un souffle à cette lutte sociale comme jamais auparavant. Notre objectif est de permettre l’organisation démocratique, dans un parti politique, des partisans d’une réforme des lois concernant le cannabis afin de modifier ou de faire modifier par différents moyens les lois prohibant le cannabis ou leur application au Québec.

Notre action vise plus spécifiquement à bâtir un rapport de force qui permettra de sortir de la prohibition sans que les amateurs de cannabis subissent les frais des changements législatifs. Nous croyons fermement que les amateurs de cannabis forment une masse critique qui, une fois organisée, pourrait mettre un terme à la prohibition pour eux par des actions de désobéissance civile.

Le Bloc Pot, c’est plus qu’un parti, car en plus de porter un discours critique sur la prohibition, il propose un plan d’action qui vise spécifiquement à déprohiber le cannabis et libéraliser le marché de celui-ci en faveur des amateurs.

Q : Plusieurs thématiques dans ce débat ne doivent pas être confondues. Par exemple, la légalisation de la vente et la consommation de marijuana à des fins thérapeutiques, ou encore la décriminalisation à des fins récréatives, sans parler de la fameuse prohibition. Peux-tu nous éclairer davantage ?

R : Premièrement, la prohibition – qui signifie textuellement interdire – concerne autant le cannabis industriel, thérapeutique que récréatif.

En premier lieu, l’accès au cannabis industriel pour les fermiers est fortement règlementé par Santé Canada, limitant ainsi les possibilités de développement industriel et commercial puisque cette culture n’est pas sur un même pied d’égalité que les autres produits agricoles. Le plan économique du Bloc Pot servirait à réduire les écarts dans ce marché et encouragerait une implantation de la machinerie requise pour transformer le cannabis industriel en produits à valeur ajoutée.

Idem pour le cannabis à usage thérapeutique dont l’accès a toujours été géré par Santé Canada qui n’a su faire en dernière analyse que de l’obstruction, laissant ainsi les personnes souffrantes sans aide. En fait, le cannabis à usage thérapeutique n’est pas légal au Canada, mais rendu accessible par règlement. Ce régime règlementaire encadre spécifiquement l’article 56 de la Loi sur les drogues et autres substances qui accorde au ministre de la Santé le droit d’émettre des exemptions à la loi.

Mais pourquoi Santé Canada agit-il ainsi avec le cannabis industriel et thérapeutique? La réponse à cette question est assez simple: Santé Canada veut maintenir la prohibition à tout prix.

Au Bloc Pot, nous avons toujours reconnu le droit légitime des patients à se procurer du cannabis illégalement pour traiter leurs malaises, ainsi que le droit des citoyens à les appuyer dans leur démarche comme le font les dispensaires. Néanmoins, c’est avant tout à cause de la prohibition d’une substance majoritairement récréative (le pot, la marijuana) que le cannabis médical est devenu inaccessible, et si nous mettons fin à cette prohibition, tous et toutes pourront avoir accès à un cannabis de qualité à un prix bien plus abordable que l’offre actuelle des producteurs autorisés par règlement.

Historiquement, le mouvement «pro-cannabis» a toujours défendu la décriminalisation. Ce qui signifie – au sens strict du terme – le retrait de certains actes qui relèvent de la compétence du système de justice criminelle. Malheureusement, les politiciens qui ont utilisé ce terme l’ont galvaudé, voire travesti, générant ainsi une totale confusion sur sa signification. Ici, c’est le gouvernement fédéral qui a le pouvoir de retirer le cannabis du Code criminel. Cependant, les provinces, selon la Constitution canadienne, possèdent les pouvoirs liés à l’application des lois. En conséquence, les provinces peuvent dépénaliser certains actes dont la possession, la production et le trafic de cannabis en émettant une directive à tous les procureurs de ne plus poursuivre ainsi qu’aux policiers de ne plus intervenir contre le cannabis!

Pour le terme légalisation, il faut savoir que celui-ci a rarement été défendu par le mouvement «pro-cannabis», mais ce terme, avec le temps, s’est incrusté dans la trame narrative de leur lutte. Bien que nous concédions au terme un sens qui sous-entend un changement dans la gestion du cannabis, comme permettre sa production et sa vente, plusieurs voient dans ce projet qu’une nouvelle variante à la prohibition actuelle. Ce terme a un ton plus paternaliste et signifie, en dernière analyse, que l’État continuera à s’octroyer un contrôle excessif sur le marché légalisé.

Ainsi, la politique fédérale passerait d’un interdit pur et simple sous la prohibition criminelle à une prohibition pénale où l’État fera l’impossible pour maintenir son contrôle en y apposant des conditions disproportionnées aux enjeux réels qui, inévitablement, seront teintés du récit prohibitionniste duquel sont nées les peurs irrationnelles concernant le cannabis et ses amateurs. En somme, la légalisation ne serait qu’une autre forme de la prohibition, surtout si l’on fait une analyse critique de la gestion du cannabis à usage thérapeutique fait par Santé Canada.

En fait, le discours prolégalisation cache dans ses arguments un discours prohibitionniste ou, en d’autres mots, la légalisation est une réponse prohibitionniste à la prohibition. Les arguments largement rabâchés tels que les revenus de taxation, la fin du marché noir ou protéger les jeunes, sont faux ou tendancieux. Mais il est difficile de s’extraire de la prohibition et de sa mentalité afin d’avoir l’heure juste sur ce débat politique.

Au Bloc Pot, nous tentons d’utiliser les termes les plus généraux et exprimer le plus largement possible le sens de notre projet politique. Voilà pourquoi nous employons fréquemment les termes antiprohibitionniste, mettre fin à la prohibition, déprohibition ou libéralisation du marché. Cela ne signifie pas que le cannabis, dit récréatif, ne soit pas règlementé commercialement, mais l’avenue de libéralisation du marché actuel, par une déprohibition, semble pour nous une option plus viable et réaliste.

Le Bloc Pot croit à une déprohibition et à une libéralisation du marché qui sera PAR et POUR les amateurs de cannabis

Le cannabis ne peut copier bêtement le modèle de l’alcool comme l’ont fait le Colorado et Washington. Son modèle doit se baser sur les réalités entourant son utilisation, son échange et sa production, et celles-ci sont complexes, ressemblant parfois à la bière ou au vin, au café, aux produits laitiers ainsi qu’à la production maraichère.

Si l’on se fie aux différents projets de légalisation qui émergent partout sur la planète, il est primordial pour les amateurs de cannabis de proposer un modèle qui serait plus à leurs avantages. Autrement, nous nous retrouverons à la merci de la règlementation que nous proposeront les politiciens professionnels – largement prohibitionnistes, même ceux qui parlent de légalisation – ce qui risque fort bien de se traduire par une nouvelle forme pénale de prohibition, plus expéditive et tout aussi punitive que la politique de criminalisation actuelle.

Q : En 2002, un comité spécial du Sénat d’Ottawa publiait un rapport sur les drogues illicites dans lequel on démontrait plusieurs vertus des cannabinoïdes sur l’être humain. On montrait aussi que sa règlementation représente un obstacle à l’accès, mais également qu’elle restreint de façon inutile la disponibilité du cannabis pour ceux qui pourraient en retirer des bienfaits. On ajoute même qu’il «n’existe aucune justification expliquant pourquoi le cannabis doit être un traitement de dernier recours.» Quels sont les effets médicaux du cannabis ?

R : Cette question est à notre avis plutôt très complexe et nous laissons les spécialistes y répondre. Les connaissances actuelles sont larges, mais presque exclusivement établies sur des modèles animaux. Par contre, avec les milliers d’années d’utilisation du cannabis à des fins médicales et les millions d’anecdotes concernant son utilité thérapeutique, il est difficile aujourd’hui de nier ses effets.

Raphaël Mechoulam, celui qui a découvert le THC en 1964, a constaté en 1985 que le THC interagit avec le plus grand système de récepteurs dans le corps humain, le système endocannabinoïde. Les plus récentes recherches ont aussi démontré que les endocannabinoïdes tels que l’anandamide – nommé d’après le mot sanscrit Ananda, qui signifie «bonheur» – sont des composés essentiels au bon fonctionnement de l’organisme du fait de leur nombre beaucoup plus important que n’importe quel autre récepteur, ce qui expliquerait fort probablement les effets systémiques du cannabis et ses importantes applications thérapeutiques.

Q : Nous savons aussi que le cannabis a une toxicité très faible et ne présente à peu près aucun risque de surdose. D’après le rapport du sénateur Nolin (décédé le 23 avril dernier), «la dépendance physique au cannabis est rare et mineure». Toutefois, il est vrai que la marijuana peut avoir des effets pervers sur le cerveau de certains adolescents prédisposés par exemple à la schizophrénie, un message que martèle le gouvernement Harper par l’entremise de Santé Canada. Comment – et de quel droit – peut-on vouloir pénaliser toute une population afin de protéger une minorité de jeunes à risque ?

R : Premièrement, les risques de développer un trouble mental durable, comme la schizophrénie, n’augmente pas chez les consommateurs de cannabis, et ce, peu importe leur âge. Même la Société québécoise de la schizophrénie affirme que la consommation de drogue ne cause pas la schizophrénie.

Bien que la science admette une certaine relation entre cannabis et schizophrénie, aucune relation causale n’a encore pu être établie à ce jour. Concernant les psychoses, celles-ci toucheraient moins de 1% des utilisateurs et les connaissances scientifiques n’ont toujours pas démontré si c’était bien le cannabis qui générait ces psychoses, car plusieurs autres facteurs entrent en ligne de compte lors de ces crises, qui ne sont généralement que passagères.

Il est évident que si l’on fait une analyse critique de l’histoire politique de la prohibition, nous verrions que celle-ci sert en fait d’autres intérêts que ceux de la population. Dès les origines, la prohibition est un mensonge et a permis à l’État canadien de multiplier ses budgets policiers.

Q : Entre 2007 et 2013, l’État canadien a dépensé environ 676,2 millions de dollars pour poursuivre les contrevenants (plus de 322 000 Canadiens ont été arrêtés en cinq ans pour simple possession de marijuana). Bref, 40% du budget total sert à appliquer la loi plutôt que poursuivre des recherches sur les vertus médicinales de cette plante millénaire. Que faut-il comprendre de tout cet argent investi dans la stratégie nationale antidrogue?

R : Justifier l’injustifiable. Ce qui est génial à propos de ces «crimes sans victime», c’est le taux des dossiers résolus par les enquêteurs qui frise les 98%! Ça parait bien. Si l’État, avec l’aide de médias complaisants, ne faisait pas tout ce tapage, la prohibition ne tiendrait pas bien longtemps. Tout le discours prohibitionniste est basé sur des peurs irrationnelles montées en épingle à partir d’études dont la méthodologie ne permet pas d’établir de constats aussi unilatéraux.

Q : Justin Trudeau, chef du Parti libéral, vient tout juste d’annoncer à Québec son intention de travailler avec les municipalités et les provinces pour opérer la transition vers une vente de cannabis par l’État, les villes jouant ainsi un rôle dans le contrôle et la distribution de la marijuana. Quels sont les avantages/désavantages d’un tel système?

R : Depuis plus de quinze ans, nous affirmons que les provinces (rappelons que nous sommes un parti provincial, contrairement au Parti Marijuana fondé en 2000, qui présente actuellement une dizaine de candidats) et les villes ont un rôle majeur à jouer dans ce changement législatif. Par contre, il ne faut pas douter de leur mauvaise foi et, ce qui compte le plus, c’est que les amateurs soient aussi impliqués. Les amateurs sont systématiquement évincés de tous les projets politiques des partis fédéraux et provinciaux.

Tout comme le jeu, qui a été longtemps inscrit dans le Code criminel, les provinces sont responsables sur leur territoire du marché du cannabis, actuel et futur. On imagine assez bien une Régie du cannabis, dit récréatif ou commercial, qui émettrait des permis de revente et, en collaboration avec le MAPAQ, des certificats de production. La Régie aurait aussi comme responsabilité de tester les produits mis en vente ainsi que de les étiqueter. Un contrôle sanitaire serait donc mené systématiquement pour tous les produits vendus commercialement et permettrait aussi la collecte d’une taxe d’accise sur la production.

Concernant les villes, elles sont responsables du développement de leur territoire et des règles d’urbanisme concernant l’implantation des commerces dans leurs rues. Tout comme elles le font actuellement en limitant le nombre de restaurants/cafés ou de bars et en mettant en place des règles de sécurité du public.

Q : Finalement, selon les récents sondages, une majorité de Canadiens (65%) sont en faveur de la décriminalisation de la marijuana, dans une proportion de 60% au Québec comparativement à 74% en Colombie-Britannique. Êtes-vous optimiste quant à l’avenir du droit des citoyens canadiens de cultiver et de fumer une herbe plutôt inoffensive?

R : Il est évident qu’il y a un vent de changement. Une des raisons principales pour lesquelles plusieurs citoyens affirmaient que la loi canadienne n’allait pas changer, c’était la politique prohibitionniste du gouvernement fédéral des États-Unis. Aujourd’hui, avec plusieurs États qui ont mis en place un régime pénal contraire à la politique fédérale étatsunienne et avec tous les référendums qui auront lieu en 2016 sur le sujet, il est assez clair que ça va également bouger ici. D’ailleurs, nous nous insurgeons devant l’inaction de tous les partis provinciaux en la matière, et spécifiquement les partis souverainistes.

Par conséquent, la question à laquelle nous devons répondre est: quelle forme doit prendre la législation encadrant le cannabis en société? Ou plutôt, quel est le modèle qui serait à l’avantage des amateurs de cannabis?

Nous croyons à une déprohibition et à une libéralisation du marché qui sera PAR et POUR les amateurs de cannabis. Il nous est impossible de défendre un modèle dans lequel les amateurs feraient encore les frais.

Nous désirons lancer ce type de débat, mais les amateurs sont tellement convaincus que la loi va changer d’elle-même. Or, le spectacle de la légalisation, ce récit prohibitionniste, les laisse dans l’attente et l’expectative… le réveil risque d’être douloureux. Les amateurs doivent donc se donner une organisation qui agira en son nom et défendra ses intérêts. En d’autres mots, être un chien de garde devant les projets qui seront avancés par le régime prohibitionniste.

Jean-François Veilleux : Étudiant de l'UQTR en philosophie, puis en histoire et son objet d'étude de prédilection est la musique. Jean-François est présentement chroniqueur politique.