Jugements de la Cour suprême R. c. Malmo-Levine; R. c. Caine

Droit constitutionnel — Charte des droits — Justice fondamentale — Liberté et sécurité de la personne — Dispositions de la Loi sur les stupéfiants interdisant la possession de marihuana — Possibilité d’emprisonnement en cas de déclaration de culpabilité pour simple possession — Cette interdiction porte-t-elle atteinte à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés ? — Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, ch. N-1, art. 3(1), annexe.

L’interdiction criminelle a eu des effets négatifs sur au moins 600 000 Canadiens

Le fait d’envoyer des personnes vulnérables en prison pour les protéger contre elles‑mêmes ne respecte pas le principe du préjudice en tant que principe de justice fondamentale. De même, le fait que certaines personnes vulnérables puissent se faire du tort en consommant de la marihuana n’est pas une raison suffisante pour emprisonner d’autres personnes se livrant à cette activité. L’État ne peut pas, en les menaçant d’emprisonnement, empêcher tous les justiciables d’adopter un comportement qui ne leur est pas préjudiciable, pour le motif que d’autres personnes plus vulnérables pourraient se faire du tort si elles adoptaient ce comportement, particulièrement si on reconnaît que l’emprisonnement ne serait pas une mesure appropriée pour les groupes vulnérables visés.

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Jugements de la Cour suprême R. c. Malmo-Levine; R. c. Caine
https://decisions.scc-csc.ca/scc-csc/scc-csc/fr/item/2109/index.do

Jugements de la Cour suprême
R. c. Malmo-Levine; R. c. Caine
Collection Jugements de la Cour suprême
Date 2003-12-23
Référence neutre 2003 CSC 74
Recueil [2003] 3 RCS 571
Numéro de dossier 28026, 28148
Juges McLachlin, Beverley; Gonthier, Charles Doherty; Iacobucci, Frank; Major, John C.; Bastarache, Michel; Binnie, William Ian Corneil; Arbour, Louise; LeBel, Louis; Deschamps, Marie
En appel de Colombie-Britannique
Sujets Droit constitutionnel
Notes Renseignements sur les dossiers de la Cour : 28026, 28148
R. c. Malmo‑Levine; R. c. Caine, [2003] 3 R.C.S. 571, 2003 CSC 74

David Malmo‑Levine Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Procureur général de l’Ontario, British Columbia Civil Liberties

Association et Association canadienne des libertés civiles Intervenants

et entre

Victor Eugene Caine Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Procureur général de l’Ontario, British Columbia Civil Liberties

Association et Association canadienne des libertés civiles Intervenants

Répertorié : R. c. Malmo‑Levine; R. c. Caine

Référence neutre : 2003 CSC 74.

Nos du greffe : 28026, 28148.

2003 : 6 mai; 2003 : 23 décembre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour, LeBel et Deschamps.

en appel de la cour d’appel de la colombie-britannique

Droit constitutionnel — Charte des droits — Justice fondamentale — Liberté et sécurité de la personne — Dispositions de la Loi sur les stupéfiants interdisant la possession de marihuana — Possibilité d’emprisonnement en cas de déclaration de culpabilité pour simple possession — Cette interdiction porte-t-elle atteinte à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés ? — Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, ch. N-1, art. 3(1), annexe.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l’égalité — Dispositions de la Loi sur les stupéfiants interdisant la possession de marihuana en vue d’en faire le trafic — Cette interdiction porte-t-elle atteinte à l’art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés ? — Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, ch. N-1, art. 4(2), annexe.

Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Droit criminel — Dispositions de la Loi sur les stupéfiants interdisant la possession de marihuana — Cette interdiction relève-t-elle du pouvoir de légiférer du Parlement? — Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(27) .

Lors d’une patrouille de routine, deux agents de la GRC ont vu C et un passager dans une fourgonnette stationnée à proximité de l’océan. Lorsqu’ils se sont approchés, C, qui était au volant, a mis le contact et commencé à faire marche arrière. Longeant le véhicule, l’un des policiers a senti une forte odeur de marihuana récemment fumée. C a remis au policier un joint partiellement fumé pesant 0,5 gramme. Il l’avait en sa possession pour consommation personnelle et rien d’autre. L’ancienne Loi sur les stupéfiants dispose, au par. 3(1), que « [s]auf exception prévue par la présente loi ou ses règlements, il est interdit d’avoir un stupéfiant en sa possession ». Les substances considérées comme des stupéfiants sont énumérées aux annexes de la Loi. La marihuana y figure. Le délinquant est passible, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, pour une première infraction, d’une amende maximale de 1 000 $ et d’un emprisonnement maximal de six mois, ou de l’une de ces peines, et, en cas de récidive, d’une amende maximale de 2 000 $ et d’un emprisonnement maximal d’un an, ou de l’une de ces peines. Au procès, la juge a rejeté la demande de C qui sollicitait un jugement déclarant inconstitutionnelles les dispositions de la Loi sur les stupéfiants interdisant la possession de marihuana. Il a été déclaré coupable de simple possession. La Cour d’appel, à la majorité, a confirmé la déclaration de culpabilité.

M, qui se décrit lui‑même comme un « défenseur de la liberté et de la consommation de la marihuana », participe à l’exploitation d’une association coopérative sans but lucratif connue sous le nom de « Harm Reduction Club », qui reconnaît l’existence de certains risques associés à l’usage de la marihuana et cherche à les réduire. En décembre 1996, la police a visité les locaux du club et saisi plus de 300 grammes de marihuana, essentiellement sous forme de « joints ». M a été accusé de possession de marihuana en vue d’en faire le trafic en vertu du par. 4(2) de l’ancienne Loi sur les stupéfiants. Au procès, M a voulu présenter certains éléments de preuve au soutien de son argument d’inconstitutionnalité, mais le juge du procès a refusé d’admettre ces éléments et a rejeté l’argument. M a été déclaré coupable et, en appel, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont confirmé la déclaration de culpabilité.

Arrêt (les juges Arbour, LeBel et Deschamps sont dissidents dans le pourvoi de C) : Les pourvois sont rejetés.

La juge en chef McLachlin et les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie : Toutes les parties s’accordent pour dire que la marihuana est une drogue psychoactive qui « agit sur les fonctions mentales ». C’est d’ailleurs pour cela que les accusés en consomment. Les conclusions des juridictions inférieures concordent quant à l’existence d’un « préjudice » qui n’est ni insignifiant ni négligeable. Certains groupes de la société sont particulièrement vulnérables aux effets de la marihuana. Bien que les membres de ces groupes ne puissent généralement pas être distingués à l’avance des autres consommateurs et représentent un pourcentage relativement minime de l’ensemble des consommateurs de marihuana, leur nombre est toutefois non négligeable en chiffres absolus. Dans l’affaire C, le juge du procès a évalué à environ 50 000 le nombre de « consommateurs chroniques ». Les femmes enceintes et les schizophrènes seraient également particulièrement à risque. Favoriser la protection de ces personnes et d’autres personnes vulnérables est une décision de politique générale qui relève du large pouvoir de légiférer dont dispose le Parlement. Il est également loisible à celui-ci de décriminaliser ou de modifier de quelque autre façon tout aspect des dispositions régissant la marihuana, s’il ne considère plus que les mesures en question constituent une bonne politique d’intérêt général.

La question que la Cour doit trancher est une pure question de droit, et non une question de politique générale : l’interdiction, y compris la possibilité d’emprisonnement qu’entraîne l’infraction de simple possession, est-elle une disposition législative valide, soit parce qu’elle déborde la compétence législative du Parlement, soit parce que l’interdiction et plus particulièrement la peine d’emprisonnement dont elle est assortie portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Charte canadienne des droits et libertés ?

La réglementation d’une drogue psychoactive qui agit sur les fonctions mentales soulève manifestement des questions de santé et de sécurité publiques, tant en ce qui concerne le consommateur lui-même que les personnes dans la société qui sont touchées par son comportement. La consommation de marihuana peut donc à juste titre faire l’objet de mesures édictées en vertu de la compétence relative au droit criminel. La compétence du fédéral en matière criminel comporte la plénitude des pouvoirs à cet égard et a été interprétée de manière généreuse. Pour qu’une loi puisse être considérée comme relevant du droit criminel, elle doit comporter un objet valide de droit criminel assorti d’une interdiction et d’une sanction. Le droit criminel englobe les lois favorisant la paix, la sécurité, l’ordre ou la santé publics et tout autre objectif public légitime. L’objectif de la Loi sur les stupéfiants correspond au chef de compétence relatif au droit criminel, lequel vise notamment la protection des groupes vulnérables. La conclusion selon laquelle l’interdiction actuelle visant la consommation de la marihuana peut s’appuyer sur la compétence en matière de droit criminel rend inutile l’examen de la question de savoir si l’interdiction peut s’appuyer sur le pouvoir résiduel de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement.

La possibilité d’emprisonnement pour simple possession de marihuana suffit pour justifier un examen fondé sur l’art. 7 de la Charte . Toutefois, la décision de M de centrer son mode de vie sur la consommation récréative de marihuana ne bénéficie pas de la protection de la Charte .

Pour qu’une règle ou un principe constitue un principe de justice fondamentale au sens de l’art. 7, il doit s’agir d’un principe juridique à l’égard duquel il existe un consensus substantiel dans la société sur le fait qu’il est essentiel au bon fonctionnement du système de justice, et ce principe doit être défini avec suffisamment de précision pour constituer une norme permettant d’évaluer l’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne.

Dans la définition des principes de justice fondamentale, il faut nécessairement prendre en considération la nature sociale de notre existence collective. Ce n’est que dans cette mesure que les valeurs sociétales jouent un rôle dans la détermination de la portée des droits et des principes en question. Cependant, la pondération des droits individuels et des intérêts sociétaux dans l’analyse fondée sur l’art. 7 n’est pertinente que pour préciser un principe de justice fondamentale en particulier. Une fois précisé le principe de justice fondamentale en cause, la prise en compte d’intérêts sociétaux tels les coûts des soins de santé ne fait plus partie de l’analyse fondée sur l’art. 7. Ces considérations seront examinées, si tant est qu’elles le sont, dans l’application de l’article premier.

Même si le « principe du préjudice » invoqué par les accusés pouvait être qualifié de principe juridique, il ne satisferait pas aux autres conditions. Tout d’abord, il n’existe pas un consensus sur le caractère primordial ou fondamental de ce principe dans la notion de justice pénale au sein de notre société. Bien que l’existence d’un préjudice causé à autrui puisse justifier le Parlement de légiférer en vertu de sa compétence en matière de droit criminel, l’absence de preuve de l’existence d’un préjudice ne constitue pas, au regard de l’art. 7, un obstacle absolu à l’adoption d’une mesure législative. Il n’y a pas non plus consensus quant à l’importance déterminante de la distinction entre le préjudice à autrui et le préjudice à soi-même. Finalement, le principe du préjudice ne constitue pas une norme fonctionnelle permettant d’évaluer l’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne.

Bien que le « principe du préjudice » ne soit pas un principe de justice fondamentale, il n’en demeure pas moins que l’intérêt qu’a l’État à prévenir les préjudices aux personnes assujetties à ses lois peut le justifier de légiférer. Le législateur peut imposer une interdiction sans être tenu de convaincre les tribunaux de l’existence d’un préjudice « grave et important ». Une fois qu’il est prouvé, comme en l’espèce, que le préjudice n’est pas minime ou qu’il n’est pas « ni insignifiant ni négligeable », l’appréciation et la détermination exactes de la nature et de l’étendue du préjudice relève du Parlement.

Une disposition de droit criminel qui est jugée arbitraire ou irrationnelle porte atteinte à l’art. 7. Cependant, au vu de l’intérêt de l’État à prévenir les préjudices à ses citoyens, l’interdiction frappant la possession de marihuana n’est ni arbitraire ni irrationnelle. La marihuana est une drogue psychoactive dont « la consommation agit sur les fonctions mentales », selon le juge qui a présidé le procès de C. Cette action crée un risque pour autrui lorsque le consommateur conduit un véhicule à moteur, pilote un avion ou exerce d’autres activités exigeant de faire fonctionner un appareil complexe. Les consommateurs chroniques peuvent éprouver de « graves » problèmes de santé. Les groupes vulnérables sont particulièrement à risque, notamment les adolescents qui ont déjà des résultats scolaires médiocres, les femmes enceintes et les personnes qui souffrent d’affections préexistantes comme des maladies cardiovasculaires, des troubles respiratoires, la schizophrénie ou d’autres toxicomanies. Ces conclusions de fait révèlent l’existence que l’État a un intérêt suffisant pour justifier la mesure législative si le Parlement juge opportun de la maintenir, pourvu qu’elle respecte la norme constitutionnelle de la disproportion exagérée. Il est vrai que le législateur s’est attaqué directement à certains comportements susceptibles d’être préjudiciables en créant d’autres infractions dans le Code criminel . Le recours à une mesure législative donnée pour prévenir un préjudice n’exclut pas logiquement le recours à d’autres mesures du genre, sous réserve toujours du respect du critère de la disproportion exagérée. En outre, la décision du Parlement d’intervenir dans un domaine intéressant la santé et la sécurité publiques (la consommation d’alcool et de tabac par exemple) et pasdans un autre n’est pas, de ce seul fait, arbitraire ou irrationnelle.

La question de la sanction doit être examinée au regard de l’art. 12 de la Charte (qui protège chacun contre « tous traitements ou peines cruels et inusités ») et, dans de tels cas, la norme constitutionnelle applicable est celle de la disproportion exagérée. L’absence de peine minimale obligatoire et l’existence de principes de détermination de la peine bien établis signifient que la possibilité d’emprisonnement pour une infraction liée à la marihuana ne saurait à elle seule constituer une mesure disproportionnément exagérée.

Le fait de conclure qu’une peine donnée viole l’art. 12 de la Charte peut exiger une réparation constitutionnelle liée à la peine sans pour autant remettre en cause la criminalisation du comportement, lequel peut encore, constitutionnellement, être punissable par un autre type de peine.

Le concept clé en l’espèce est le recours à l’incarcération, et non la possibilité d’incarcération. La possession de marihuana n’expose le délinquant à aucune peine minimale. Dans la plupart des affaires de possession, le délinquant (qu’il s’agisse ou non d’une personne vulnérable) fait l’objet d’une absolution ou d’une peine d’emprisonnement avec sursis. Cela se produit particulièrement lorsqu’il est question d’une petite quantité de marihuana à des fins récréatives, auquel cas l’absolution sous condition est la peine habituellement infligée. Il n’y a dans la loi aucun obstacle empêchant le juge du procès d’infliger une peine appropriée à la personne déclarée coupable de simple possession de marihuana.

La « possibilité » d’emprisonnement pour possession d’une drogue figurant à l’annexe de la Loi sur les stupéfiants fait partie intégrante du cadre législatif applicable aux drogues en général et non pas seulement à la marihuana en particulier. L’examen de la jurisprudence révèle que ce n’est que lorsqu’il y avait des circonstances aggravantes, circonstances peu susceptibles d’être présentes dans le cas des « personnes vulnérables », que le tribunal a estimé, dans l’affaire dont il était saisi, qu’une peine d’emprisonnement constituait une peine appropriée à l’égard de l’infraction de simple possession de marihuana. Point n’est besoin d’invoquer la Charte pour obtenir réparation à l’encontre d’une peine inappropriée. Lorsque, dans un cas donné, une peine d’emprisonnement n’est pas indiquée, elle ne sera pas infligée et, si elle l’est, elle sera annulée en appel.

Les effets sur les accusés de l’interdiction visant la possession de la marihuana ne sont pas si exagérément disproportionnés qu’ils rendent cette interdiction contraire à l’art. 7 de la Charte . Les conséquences dont se plaignent les accusés sont en grande partie le fruit d’une désobéissance délibérée à la loi du pays. Si le tribunal inflige à la personne déclarée coupable une peine qui n’est rien d’autre qu’appropriée, ce qu’il est tenu de faire, les autres conséquences préjudiciables sont en fait liées au système de justice pénale en général et non à cette infraction en particulier. Dans tout système de droit pénal, il arrive qu’une poursuite se révèle non fondée, que la publicité qui l’entoure soit injustement préjudiciable, qu’une défense fructueuse occasionne des frais, qu’une déclaration de culpabilité pour une infraction relativement mineure ait des conséquences persistantes et peut‑être injustes dans d’autres ressorts, et ainsi de suite. Il s’agit de conséquences graves, mais elles font partie des coûts sociaux et personnels qu’entraîne le fait de posséder un système de justice pénale. Chaque fois que le Parlement exerce sa compétence en matière de droit criminel, de tels coûts en résultent. Prétendre que ces coûts « intrinsèques » invalident l’exercice de cette compétence a pour effet d’exagérer le rôle de l’art. 7.

Si l’on applique la norme de la disproportion exagérée, les effets sur les accusés des dispositions actuelles, y compris la possibilité d’emprisonnement, n’excèdent pas la vaste latitude que la Constitution accorde au législateur.

La prétendue « inefficacité » de l’interdiction frappant la possession de marihuana est simplement une autre façon de désigner le refus des gens d’observer la loi. L’on ne saurait, en invoquant les principes de justice fondamentale, faire de ce refus un argument d’inconstitutionnalité. En outre, la pondération des effets bénéfiques et des effets préjudiciables de la loi est une démarche qui relève davantage de l’application de l’article premier. Comme les accusés n’ont pas établi l’existence d’une atteinte aux droits garantis par l’art. 7, il n’est pas nécessaire de demander à l’État de procéder à la justification requise par l’article premier.

L’argument de M fondé sur le droit à l’égalité ne saurait être retenu. L’interdiction d’avoir en sa possession de la marihuana en vue d’en faire le trafic ne porte pas atteinte au par. 15(1) de la Charte . Le goût pour la marihuana ne constitue pas une « caractéristique personnelle » entraînant l’application de la garantie prévue à l’art. 15, mais un choix de mode de vie qui n’est en rien analogue aux caractéristiques personnelles énumérées à cet article.

Dans les circonstances propres au pourvoi de M, le juge du procès a fait erreur en refusant d’admettre la preuve d’expert concernant les faits législatifs et constitutionnels que voulait présenter M et qui était pertinente dans le cadre de sa contestation fondée sur la Charte . Même si le juge du procès n’était manifestement pas impressionné par ce que M souhaitait établir, dans les circonstances, il aurait dû malgré ses réserves admettre cette preuve afin de permettre à ce dernier de constituer un dossier complet en prévision d’un éventuel appel. Le fait que les parties aient convenu de considérer que la preuve relative aux faits législatifs présentée par C s’appliquait également dans l’appel de M a toutefois permis d’éviter les complications auxquelles l’audition de l’appel aurait autrement donné lieu. En conséquence, l’erreur du juge du procès n’a pas causé préjudice à M.

La juge Arbour (dissidente dans le pourvoi de C) : Les dispositions contestées relèvent du chef de compétence concernant le droit criminel. Si la loi vise un mal légitime pour la santé publique, comporte une interdiction assortie d’une sanction pénale et ne constitue pas par ailleurs un empiétement « déguisé » sur un chef de compétence provinciale, le Parlement possède, en vertu du par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 , le pouvoir discrétionnaire de déterminer l’étendue du préjudice qu’il juge suffisant pour justifier une mesure législative. Toutefois, lorsque le Parlement invoque la protection de la santé comme objectif public légitime, il doit démontrer l’effet nuisible ou indésirable contre lequel il souhaite protéger la population. Bien que la Constitution n’ait pas pour effet de requérir la preuve d’un préjudice minimal avant que le Parlement puisse utiliser son vaste pouvoir législatif en matière de droit criminel, un comportement ne présentant que peu ou pas de risques de préjudice est peu susceptible d’être considéré comme un mal pour la santé publique.

Une loi menaçant d’emprisonnement une personne dont le comportement ne crée que peu ou pas de risques véritables de préjudice pour d’autres personnes viole les principes de justice fondamentale et elle porte atteinte au droit à la liberté garanti par l’art. 7 de la Charte . Que l’emprisonnement soit utilisé comme sanction d’un crime ou d’une autre prohibition, la Constitution requiert au minimum que cette peine soit réservée aux individus dont le comportement crée un véritable risque de préjudice pour autrui. Dans le cas d’un comportement attentatoire, l’imputation de la faute est relativement simple en raison des liens étroits qui existent entre le comportement coupable et le préjudice en résultant pour la victime. Il n’est pas facile de quantifier le préjudice causé à des intérêts collectifs par opposition à celui causé à des personnes identifiables, et il est encore moins facile d’imputer la responsabilité de ce préjudice à une activité ou à un acteur reconnaissable. Pour déterminer si le comportement en question, qui ne cause peut-être qu’un préjudice direct à son auteur ou semble plutôt bénin, ne cause que peu ou pas de risques de préjudice pour d’autres personnes, les tribunaux doivent évaluer l’intérêt qu’a la société à interdire ce comportement et à le punir. Les « intérêts sociétaux » peuvent effectivement faire partie de l’analyse fondée sur l’art. 7 lorsque le principe de justice fondamentale pertinent fait intervenir des préoccupations telle la protection de la société. L’appréciation de l’intérêt qu’a la société à interdire un comportement consiste à soupeser, d’une part, les effets préjudiciables qu’aurait pour celle‑ci le fait de ne pas interdire par voie législative le comportement en cause et, d’autre part, les effets qui découleraient de la prohibition de celui-ci. Le préjudice ou risque de préjudice que crée pour la société le comportement prohibé doit être plus grand que tout préjudice susceptible de résulter des mesures visant à le prévenir.

Le préjudice lié à la consommation de marihuana ne justifie pas la décision de l’État d’avoir recours à l’emprisonnement pour faire respecter l’interdiction visant la possession de cette substance. Exception faite des risques que comporte l’usage de la marihuana lorsque le consommateur conduit un véhicule à moteur, pilote un avion ou fait fonctionner un appareil complexe et des répercussions de l’usage de cette substance sur les systèmes de soins de santé et d’aide sociale, les effets néfastes de la consommation de marihuana présentent exclusivement des risques pour la santé du consommateur, risques qui vont de quasi inexistants pour les personnes qui n’en font qu’une consommation faible, occasionnelle ou modérée à relativement élevés pour les consommateurs chroniques. Le préjudice qu’une personne se cause à elle‑même ne satisfait pas à l’exigence constitutionnelle selon laquelle, dans tous les cas où l’État a recours à l’emprisonnement, l’existence d’un préjudice minimal à autrui est un des éléments essentiels de l’infraction.

Selon la majorité, les membres de groupes vulnérables déclarés coupables de possession de marihuana ne risquent pas sérieusement l’emprisonnement, puisque ce n’est qu’en « présence de circonstances aggravantes » que l’emprisonnement constitue une peine appropriée. Cette affirmation n’étaye pas leur position, mais fait plutôt ressortir la principale difficulté que soulève la situation. Si on applique le raisonnement des juges majoritaires, c’est sur les délinquants qui ne font pas partie de groupes vulnérables — c’est-à-dire les personnes qui créent tout au plus un risque négligeable de préjudice pour eux-mêmes et pour autrui — que pèsera la menace d’emprisonnement à cause de la présence de « circonstances aggravantes ». L’argument selon lequel il est préférable d’examiner au regard de l’art. 12 plutôt que de l’art. 7 la justesse des peines infligées pour la simple possession de marihuana va à l’encontre de l’idée que les art. 8 à 14 de la Charte sont des exemples précis de principes de justice fondamentale. Dans les cas où l’on invoque un principe de justice fondamentale non mentionné expressément aux art. 8 à 12, il faut procéder à l’analyse fondée sur l’art. 7.

Le fait d’envoyer des personnes vulnérables en prison pour les protéger contre elles‑mêmes ne respecte pas le principe du préjudice en tant que principe de justice fondamentale. De même, le fait que certaines personnes vulnérables puissent se faire du tort en consommant de la marihuana n’est pas une raison suffisante pour emprisonner d’autres personnes se livrant à cette activité. L’État ne peut pas, en les menaçant d’emprisonnement, empêcher tous les justiciables d’adopter un comportement qui ne leur est pas préjudiciable, pour le motif que d’autres personnes plus vulnérables pourraient se faire du tort si elles adoptaient ce comportement, particulièrement si on reconnaît que l’emprisonnement ne serait pas une mesure appropriée pour les groupes vulnérables visés.

Les deux risques pour autrui dont l’existence a été constatée par les juges de première instance ne suffisent pas pour justifier l’application de la peine la plus sévère prévue par la loi, sanction qui est généralement considérée comme une solution de dernier recours. Tout d’abord, bien que le risque que des personnes ressentant les effets aigus de la drogue puissent être moins aptes à conduire un véhicule à moteur, à piloter un avion ou à exercer d’autres activités exigeant de faire fonctionner un appareil complexe soit effectivement une préoccupation valide, le fait de conduire sous l’effet de l’alcool ou de drogues constitue toutefois une activité distincte du simple fait de posséder et consommer une telle substance. La conduite dangereuse fait déjà l’objet de dispositions dans le Code criminel , à juste titre d’ailleurs, parce que c’est cet acte qui risque de causer préjudice à d’autres personnes identifiables ainsi qu’à l’ensemble de la société. Le deuxième effet préjudiciable à l’ensemble de la société dont l’existence a été constatée, c’est-à-dire le préjudice général aux systèmes de soins de santé et d’aide sociale, est tout simplement trop éloigné et trop mineur pour justifier de punir par l’emprisonnement la simple possession de marihuana. Les Canadiens ne s’attendent pas à aboutir en prison chaque fois qu’ils adoptent un comportement susceptible de leur être préjudiciable. Aucune raison ne justifie de réserver un traitement particulier aux personnes qui peuvent mettre leur santé en péril en fumant de la marihuana. S’il subsiste encore des doutes quant à la question de savoir si les préjudices liés à la consommation de marihuana justifiaient le recours par l’État à l’emprisonnement comme sanction applicable en cas de possession de cette substance, ils disparaissent lorsque l’on jette dans la balance les effets préjudiciables de l’interdiction. Il ressort du dossier et des constatations des juges de première instance que l’interdiction de la simple possession de marihuana vise à empêcher un faible préjudice pour la société, mais qu’elle le fait à un coût très élevé. Un fardeau négligeable pour les systèmes de soins de santé et d’aide sociale, conjugué aux nombreux effets négatifs importants de l’interdiction, crée davantage qu’un faible risque véritable de préjudice pour la société.

La majorité a conclu que l’interdiction frappant la possession aux fins de trafic que prévoit le par. 4(2) de la Loi sur les stupéfiants n’établit pas à l’égard de M de discrimination prohibée par l’art. 15 de la Charte , étant donné que la décision d’avoir de la marihuana en sa possession et d’en faire le trafic n’est pas une caractéristique personnelle immuable, et que le fait de traiter différemment les personnes qui choisissent d’agir ainsi ne porte d’aucune façon atteinte à la dignité humaine ni ne renforce des stéréotypes préjudiciables ou des désavantages historiques. À la lumière du dossier, l’argument de M selon lequel l’interdiction visant la possession aux fins de trafic est inconstitutionnelle au regard de l’art. 7 est rejeté.

Le ministère public n’a pas présenté d’observations au sujet de l’article premier de la Charte et aucune des juridictions inférieures n’a examiné cette question. Comme il incombait au ministère public d’établir que l’atteinte est justifiée au regard de l’article premier, il ne s’est pas acquitté de ce fardeau.

Le juge LeBel (dissident dans le pourvoi de C) : Il y a accord avec l’opinion de la majorité selon laquelle on ne devrait pas élever le principe du préjudice au rang des principes de justice fondamentale visés à l’art. 7 de la Charte . Toutefois, comme des droits fondamentaux sont en jeu et qu’ils ont été violés, notre Cour doit intervenir dans le cadre de l’obligation qui lui incombe, en vertu de la Constitution, de faire respecter les principes fondamentaux de notre ordre constitutionnel. À la lumière de la preuve présentée, dans sa forme actuelle la loi apporte effectivement une solution arbitraire à certains problèmes sociaux. Le ministère public n’a pas été en mesure de bien définir les préoccupations sociales et les droits individuels qui sont en jeu, plus particulièrement le droit à la liberté que soulève le présent pourvoi. Il y a atteinte lorsque la mesure législative édictée pour répondre à un problème social peut avoir une portée à ce point excessive qu’elle en devient arbitraire. La mesure législative en cause présente une portée excessive. Bien qu’il soit indéniable que la marihuana peut causer à certaines personnes ou à certains groupes des problèmes de nature et de gravité variables, le préjudice susceptible d’être causé par la consommation de cette substance paraît assez peu important compte tenu de la preuve qui a été présentée. À l’opposé, le préjudice et les problèmes associés à la forme de criminalisation retenue par le législateur paraissent clairs et importants. Il semble que peu de gens soient emprisonnés pour simple possession de marihuana, mais il n’en reste pas moins que la loi continue de prévoir cette possibilité. La réticence des tribunaux à infliger cette peine et à emprisonner effectivement une personne déclarée coupable de simple possession semble confirmer la perception selon laquelle la loi, dans sa forme actuelle, constitue en quelque sorte une réaction législative démesurée aux problèmes que fait craindre la consommation de marihuana. De plus, non seulement la loi permet-elle l’emprisonnement, mais son application signifie que des centaines de milliers de Canadiens sont aux prises avec les stigmates qu’entraînent des antécédents judiciaires. L’adoption et l’application d’une mesure législative qui est disproportionnée aux problèmes sociétaux visés et de ce fait arbitraire porte atteinte au droit fondamental à la liberté, contrevenant ainsi à l’art. 7 de la Charte .

La juge Deschamps (dissidente dans le pourvoi de C) : Que ce soit en vertu de son pouvoir de légiférer pour assurer la paix, l’ordre et le bon gouvernement ou de sa compétence en matière de droit criminel, la prohibition de la possession de drogues relève de la compétence du législateur fédéral.

Le « principe du préjudice » ne peut valablement être qualifié de principe de justice fondamentale au sens de l’art. 7 de la Charte . Le droit criminel trouve sa justification dans la protection de la société, vue tant dans son ensemble que dans ses composantes. En ce sens, s’il est certain que l’État est justifié d’intervenir en utilisant les outils du droit criminel pour prévenir le dommage à autrui, le « principe du préjudice » est trop étroit pour réunir tous les éléments qui peuvent limiter l’action de l’État en droit criminel.

L’inclusion du cannabis dans l’annexe de la Loi sur les stupéfiants viole le droit à la liberté des accusés sans égards pour les principes de justice fondamentale. Avant de pouvoir justifier la limitation de la liberté d’un individu, l’État doit se fonder sur une loi qui n’est pas arbitraire. Or, en l’espèce, la loi est arbitraire. Premièrement, il y a lieu de douter de la pertinence de classer l’usage de la marihuana comme conduite donnant ouverture à un recours légitime au droit criminel sous le régime de la Charte puisque, dans l’ensemble, sauf les risques liés à la conduite de véhicules et à l’impact sur les régimes publics de soin et d’aide, l’usage modéré de la marihuana s’avère inoffensif. Deuxièmement, vu la disponibilité de moyens mieux adaptés, le choix du droit criminel pour réprimer une conduite qui ne cause que peu de préjudice aux utilisateurs modérés ou pour encadrer des groupes à risque pour lesquels l’effet dissuasif ou correctif est plus que douteux n’est pas à la hauteur des normes de justice de la société canadienne. Troisièmement, les dommages causés par la prohibition sont foncièrement disproportionnés par rapport au problème que l’État cherche à enrayer. Ces dommages dépassent de loin les bienfaits de la prohibition.

Comme le ministère public n’a pas tenté de justifier la prohibition en vertu de l’article premier de la Charte , il ne s’est pas acquitté de son fardeau.

Jurisprudence

Citée par les juges Gonthier et Binnie

Arrêts mentionnés : Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086; R. c. Find, [2001] 1 R.C.S. 863, 2001 CSC 32; Public School Boards’ Assn. of Alberta c. Alberta (Procureur général), [2000] 1 R.C.S. 44, 2000 CSC 2; R. c. Forbes (1937), 69 C.C.C. 140; R. c. Clay, [2003] 3 R.C.S. 735, 2003 CSC 75; R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S.

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